Marcher

« On fait d’abord l’amour avec les yeux », Boris Cyrulnik, De chair et d’âme, 2006

La tête au vent, je fais face à l’horizon. Il se tient près de moi, tout près de moi. Je sens son énergie sur mon flanc droit, pas besoin de mots, je suis dans son souffle, il est dans le mien. Je crois que l’endroit est important pour lui, il me semble que c’est la terre, le ciel et l’eau dont il vient. Je suis très heureuse de partager par le regard cet endroit, son territoire. Et je sais que si je posais mes mains sur les arbres, ils me parleraient de lui, de son enfance, de ses errances, de ses joies, de ses douleurs, et de la beauté du Monde. En venant le rencontrer là, je me rapproche plus près de lui plus que ce que les mots auraient permis. Je plonge mon corps dans son monde, un monde de sensations, avec le chant des feuilles, des oiseaux, le vrombissement des abeilles, le craquement des arbres, le mugissement léger de l’eau, les parfums de terre et d’eau, le miel des tilleuls, et parfois des effluves de bêtes. La caresse du vent sur notre peau. Le goût des fruits cueillis en forêt partagés avec les animaux qui vivent là, eux aussi. Nous regardons tous les deux la forêt qui descend dans l’eau, la terre rencontre l’eau et enfante des arbres. C’est le cycle de vie, sans commencement ni fin qui nous est donné à contempler. Pourtant la lumière reste légèrement blanche, pas aveuglante, non, juste un peu voilée comme si tout ne pouvait pas encore être révélé. Le vent léger qui nous enveloppe à la fois nous unit et nous distingue. Les pieds fichés en terre, les contours du corps redessinés par le vent, je me sens amoureuse et sereine. La vie palpite, et mon coeur à l’unisson.