La vérité du corps

Je conseille à mes étudiants de se fier à leur corps quand ils écrivent, parce que leur corps ne leur mentira jamais sur l’histoire, sur le rythme, les  personnages, etc. Alors que leur esprit les abusera tout le temps, leur disant que quelque chose est bon quand ils auront ce sentiment poignant, viscéral – physique -, cette conviction irréfutable  que c’est mauvais. Ou vice versa.  Je leur dis d’écrire avec leur esprit mais d’évaluer avec leur corps. Et surtout je leur dis d’ignorer le comité qu’ils ont dans la tête, et qui leur ressasse inlassablement qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, qu’ils sont incapables d’aligner deux phrases qui se tiennent, qu’ils seraient incapables de reconnaître une bonne histoire si elle leur sautait à la figure, etc.  Je leur dis que c’est le chœur de leur passé, un chœur composé de leurs parents,  de leurs frères, de leurs sœurs, des religieuses qui les ont tenus sur les fonds baptismaux,  à la Sainte Ecole de la Grammaire. Ignorez-les tous. Ils appartiennent au passé. Fiez-vous à votre corps. Votre corps c’est le présent. Et c’est aussi l’instrument le plus efficace à votre disposition. Elizabeth George, Mes secrets d’écrivain, 2004

J’avoue que j’ai bu du petit lait quand je suis tombée sur ce paragraphe, cela me semble tellement juste, tellement proche de ma propre expérience. Bien sûr il y a les tensions dans le corps, la nuque, les épaules, le bras, un articulation, les sacro-iliaques, les lombes. Les organes qui parlent : grondement des intestins, volcanisme de l’estomac, borborygmes du colon. Mais il y au aussi la colère qui, quand elle surgit réchauffe une certaine partie du corps, comme si elle jaillissait-là, la rumination pesante qui semble venir d’ailleurs, la joie qui donne des ailes au coeur, la tristesse qui donne mal au dos, l’anxiété qui freine la respiration. Bref, avec un peu d’entrainement, le corps devient une extraordinaire boussole, très précise pour sentir si nos pensées sont bien en cohérence avec notre vie intime. Fabuleux corps.

4 réflexions sur “La vérité du corps

  1. Elle décrit bien ce que j’appelle « La Bavarde » cette machine à justifier et expliquer qui ne connait pas grand chose du Monde mais se dépêche à inventer des fausses réponses.

  2. Evaluer avec son corps, pas avec sa tête…. Quel merveilleux chemin d »apprentissage ! j’avais oublié ce billet et cette citation. André et Eva ont meilleure mémoire que moi !

  3. Phédrienne, ne pas séparer le corps et l’esprit, oui ! bien entendu. La jonction est vitale. mais dans notre culture, le corps est si souvent le parent pauvre…

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