Le petit poucet de lin

Étreinte suffocante
Abandon du lieu, du geste, de la paille, de l’odeur
Envahissement moderne éphémère qui recompose, redessine, renfloue, efface.
Abandon par dessus l’épaule, plaidoyer de renaissance.

Le lin renaît d’un mot de ses pailles et de ses pourritures.
Rouissage à l’eau, rouissage à terre.
Rencontre des éléments qui s’annihilent
Subtile usure du soleil et de la rosée.

Dans le bloc de ciment le temps s’est arrêté.
La vase des souvenirs englue le voyeur.

Points de petits cailloux blancs
Juste les mots des anciens paysans
Juste les traces de mousse des murs.

Deux mots déchirent le silence
Rouir, teiller, rouir, teiller
Les murs en renvoient l’écho
La rivière seule se souvient

Le lin comme la peinture se soumet au bon vouloir du temps.
Trop sec la fibre se refuse
Trop humide elle pourrit.

Prière de laisser ses bottes de sept lieues à l’entrée.
Entrer nu, sans mots et sans armure.
Éprouver le lieu et sa solitude
Sans consolation ni divertissement.

Ainsi c’est.

(c) Pali Malom

L’oeuvre qui sourd

L’oeuvre singulière sourd au fond de soi
chaos putride essentiel
il suffit d’un geste juste
d’un mot qui ricoche au-dedans
pour la délier

Attraper le fil et conduire l’œuvre hors de soi
lui donner naissance à la lumière
et la regarder palpiter dans l’intime de l’autre

Une trame soigneusement tendue
des fils de chair choisis et assemblés
un à un
et de l’un à l’autre
l’un devient devient multiple sur le métier

L’oeuvre, fleur de lotus magnifique
issue de la nuit noire de l’âme
de sa fange surgit en majesté :
advient ce qui a déjà été

Déchirer l’obscurité, le voile du routoir
tracer d’une main des mots définitifs :
fleur éphémère de l’un, lumineux et vibrant,
comme un éclair qui illumine le ciel de la linerie.

Une souris verte courait sur le mur rongé.

Echos de l’un

Cube de macération
Bobine de lin échevelée
Ligne verte infranchissable

Mur abandonné
Graphie noircie
Fusain de craie

L’un troue l’ombre
Lumière de ville
La nuit bleue prolongée

Fibres vertes putréfiées
Ciment armé léché de mousse
Un fil vert déchire l’espace

Un gardien gris ocre
Echo de la frontière
Entre deux mondes oubliés

Et comme des oiseaux fous
les conjugaisons se réverbèrent
sur les parois aveugles

Rouis-tu le soir dans le rouissoir ?

 

 

Fleur de….

Il est des lieux qui ressemblent aux routoirs d’antan, sauf que ce ne sont pas des tiges de lins qu’on pose là pour que l’eau et les bactéries fassent leur œuvre, séparent l’écorce et les fibres. Les routoirs modernes ne dégagent pas d’odeur pestilentielle, et ceux qui y travaillent ne transportent pas avec eux la puanteur de leur métier dans leur sillage.

Dans les routoirs modernes ce sont des humains qu’on pose là, qu’on soustrait aux flux de vie ; on les pose là, on les oublie là, on les laisse macérer dans leur jus pour que le temps fasse son œuvre, délite le désir, l’estime de soi, la confiance en soi.  Mais nulle fileuse extérieure ne viendra ensuite assembler les fibres pour en faire un fil, assembler les fils en une bobine qui deviendra drap, chemise, toile, costume. C’est à chaque humain de rassembler les fibres essentielles de sa vie, de les filer pour discerner le fil de sa vie, sortir du routoir et poursuivre son oeuvre.

Le lin embobine

Bobines de fil
doux et rêche

Alignement de fils
sans hirondelles

Odeur de moisson
et d’herbe fauchée

Bonbonne de fils sagement assemblés
Doigts de fées à foison

Doigts en berceau de fil
Couffin d’œuvres à venir

Bistre, grège
corde et fibre
toile et chemise

Où commence le fil,
ou s’arrête la fibre ?

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L’histoire du lin a commencé plus tôt dans l’année, par là….

Le lin dans tous ses états

Jubilation du verbe et de la rencontre. Deux femmes qui cherchent. Une peintre. Corps de danseuse qui se déploie. Marionnette à fils de lins ? Un mur rouge émerge de la brume de mer.  Un mur à habiller.

L’horizon s’est barré d’un fil roux tout effiloché. Fibres brisées, lavées, froissées à foison. Filasse. Amas. Fragments. Chaos de matière. Fragments de femme.

Rouir. Colère du fil roux étiré sur la navette. La filasse s’épure en étoupe et pur fil. L’un. Unité de lieu et de matière. Brique, lin. Passé, présent. Et au milieu un fil. Fil de soi.

Métier qui tisse de l’un à l’autre, de lin et d’autre. Fracas des machines contre silence des champs. Fracas des mots contre silence des toiles.  Une à une les pointes de fer supplicient la toile sur le châssis .

Ecume de mer. Fleurs de lin. Étoiles bleues, clairs de lune minuscules posés amoureusement sur les champs. Le lin tendu sur le cadre se pare à son tour de minuscules étoiles de couleur, geste après geste.

L’artiste se tait. Mots suspendus, frémissements de la toile et du pinceau, élans intimes du peintre, orgasme du lin offert à nos regards.

 

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Pour lire la suite des aventures du lin, c’est par là !