
Alors mardi, rebelote. Convocation pour 9h30 avec forte incitation pour être là à 9h15, histoire de commencer à l’heure. La bonne blague.
On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve
Je traverse le pont et me dirige vers le point de contrôle de la police. « Ah non ! Madame, vous ne pouvez pas passer par là, traversez et passez de l’autre côté ». Je lui demande : vous avez changé les consignes depuis une semaine ? Il me regarde : « c’est comme cela ! » J’avais oublié l’arbitraire et ses formes. Ok je traverse (une autre jurée qui est arrivée après moi a insisté en disant mais non, je passe par là, l’entrée du Palais est juste là, je suis rentrée la semaine dernière. Ah oui Madame, je vous en prie, passez). Je suis canalisée dans un corridor de barrières de sécurité, on passe à deux, pas plus, pas très engageant. Arrivée sur la place, impossible de traverser pour rejoindre le Palais de Justice, il faut aller à gauche vers un autre poste de contrôle qui donne accès à un autre couloir qui traverse le boulevard. Diantre. Il y a un sacré enjeu de maîtrise des flux on dirait. Le gendarme me demande d’ouvrir mon manteau, mon sac et mon sac à dos pour vérifier, à l’œil seulement il n’a pas le droit de toucher, si j’ai quelque chose de défendu. Franchement on n’y voit rien mais ce n’est pas grave. J’arrive au Palais à la guitoune de contrôle. Ah non, Madame, vous ne pouvez pas entrer par là vous devez passer par le poste de contrôle au 4. Je rêve.
Le Verdict
La suite est sans encombre jusqu’à l’aile A, et là la barrière de sécurité qui délimite le couloir nous empêche quasiment de descendre l’escalier glauque. OK tout ce resserrement c’est pour guider les gens vers la salle de retransmission des débats du procès des attentats de novembre. Visiblement les gens se perdaient. J’arrive en bas. Nouvelle équipe policière, beaucoup plus jeune que la semaine dernière. Ils sont en fonction depuis deux jours et ne connaissent pas le bâtiment. Tout va bien, ils n’ont aucune idée de où sont les sanitaires… Nous poireautons, quelques jurés déjà là. Arrive un des jurés tiré au sort la semaine dernière. « Alors, c’était comment cette expérience ? » Très intéressant me répond-il. Fatigant de rester assis aussi longtemps à écouter, écouter, écouter. Le 2e et le 3e jour c’était mieux, plus vivant. Et puis on n’a pas fini si tard que cela. Vers 18h30. Cela allait. « Et les délibérations ? » Cela a été assez facile parce que nous étions globalement sur la même ligne. « Et du coup la décision ? » Il a pris 11 ans avec une peine incompressible pour lui donner une chance de maitriser le français et d’apprendre un métier avant de sortir. Au fur et à mesure du procès il ne parlait plus et demandait à son interprète de traduire. Il n’a répondu à quasiment aucune question, de coup c’est allé beaucoup plus vite.
Misère me dis-je. Je sais bien que cela peut être une stratégie de défense, mais je pense à la victime et à son besoin sans doute d’entendre des mots. Onze ans c’est assez sévère, le tarif c’est dix ans. Oui tu as bien lu, dix ans. C’est beaucoup ? Pas beaucoup ? Moi je trouve que c’est énorme parce que si on (nous, la société, l‘Etat) ne fait rien pour accompagner cet homme, il n’a aucune raison de changer, c’est très compliqué de changer seul. Et je ne crois pas que la peur de refaire de la prison soit une barrière d’une quelconque efficacité.
Quand tu sais que seulement 1% des plaintes pour viol finissent aux assises… tu vois bien que pour prévenir les viols, la solution est ailleurs. En revanche, la société devrait prendre sérieusement en charge le problème de ceux qui arrivent aux assises ou en correctionnelle : une réponse collective par le soin des agresseurs, plutôt qu’individuelle par leur emprisonnement. L’enfermement est une peine mais seul, il ne répare rien, ni la victime, ni l’agresseur.
Retour sur la nouvelle affaire.
L’huissier arrive avec des listes, suivi du greffier apprenti. Ils discutent avec l’équipe de police. Ils rentrent, suivi d’un homme âgé envers qui tout le monde est déférent. Ah je crois que je le reconnais, il a trempé dans l’affaire des fadettes de Sarko. Drôle de ministère public. Nous entrons. Un policier nous fait asseoir banc par banc. Tiens encore un changement, ce n’est plus placement libre. La greffière arrive, différente, vive et énergique. Commence une attente familière.
9h30, la greffière demande à voir l’accusé pour lui notifier l’acte de révision de la liste des jurés. Le gendarme va voir et revient bredouille. Il n’est pas encore arrivé. La victime arrive peu après, un monsieur aux tempes grisonnantes, totalement renfermé sur lui-même, un hérisson.
9h50, la greffière appelle le dernier juré encore manquant. Vous êtes où Monsieur ? Ah d’accord. Le procureur général s’impatiente un peu. Il arrive, lui dit-elle, c’est imminent. L’accusé est arrivé, les avocats aussi. Je suis juste derrière le banc des avocats de la Défense. J’attends que ce dernier ait fini de chuchoter avec son client de longues minutes et lui demande à qui servent les deux morceaux de tissu sur son épaule. Il éclate de rire. Je n’en ai aucune idée, cela fait partie de l’uniforme. Et en principe, à Paris, il n’y a pas de bande d’hermine au bout. Ah bon ? Oui, et je ne sais pas pourquoi !
Son manque de curiosité me surprend, je ne m’imagine pas porter un uniforme sans savoir d’où il vient, de quoi il est composé. Nous ne fonctionnons pas pareil !
10h passées, le dernier juré entre et s’installe. Entre temps derrière moi, deux jeunes femmes, des jurées de la semaine dernière. Même question : « Alors c’était comment ? » Super glauque me répondent-elles en cœur. Éprouvant et glauque. Et la cantine du Palais super bruyante et chère pour ce qui est servi. Elles ne souhaitent pas être tirées au sort à nouveau. L’homme de tout à l’heure non plus, il aspire à profiter de sa semaine de vacances avec sa femme et ses enfants comme il l’expliquera un peu plus tard au Président.
Entrée en scène
« La Cour ! » aboie la greffière. Nous nous levons. Le Président entre flanqué de deux assesseures. Je me demande si c’est la règle que les assesseurs soient du sexe opposé au Président. Puis l’avocat général. Il essaie son micro cela ne marche pas très bien. La greffière vient à son secours, le tapote et ô miracle la lumière rouge s’allume. Il peut parler. « Bonjour messieurs dames, nous adresse le Président, veuillez-vous asseoir ». Il demande à l’accusé de décliner son identité, ce dont il s’acquitte en se levant. Il procède aux formules d’usage avec l’avocat et l’accusé. Puis fait de même avec les parties civiles Le 2e avocat est l’avocat d’une autre victime. Ah deux victimes ? le mystère s’épaissit. S’en est fini. Le tirage au sort va pouvoir commencer.
Avant cela, la Cour statue la demande d’une jurée d’être dispensée (elle a été tirée au sort la semaine dernière) pour cause de décès familial et d’inhumation prévue. Demande acceptée. Vient ensuite le cas d’un juré absent, « touché » puisqu’il a bien accusé réception de sa convocation, mais qui n’a pas répondu aux trois messages que lui ont laissé les greffières. Le Président se tourne vers l’avocat général et lui demande s’il pense qu’il faut infliger une amende à ce juré défaillant. Compte tenu de la situation, l’avocat général propose une amande de 500 euros. Il demande ensuite la profession du juré : analyste financier. La Cour confirme. Vlan.
Le tirage au sort
Le Président pose que compte tenu de la durée prévue de l’audience, il lui semble raisonnable de prévoir deux jurés supplémentaire. Il passe ensuite la parole à l’avocat général pour recueillir son avis, ce dernier valide. Encore une petite différence de protocole par rapport à la semaine dernière.
Il rappelle que la défense peut récuser quatre personnes, et l’avocat général trois. Il s’adresse à l’accusé et lui demande s’il va exercer lui-même son droit à la récusation ou s’il a donné mandat à son avocat. C’est l’avocat qui répond, il a le mandat.
A l’appel de nos noms (et non plus de nos numéros de jurés cette fois) nous nous levons, le Président nous salue d’un bonjour Monsieur ou Madame selon, et met le jeton qui porte notre nom dans sa grande boite en bois ; son micro marche mal, le bruit mat des jetons jetées ne nous explose pas le tympans cette fois. Premier juré tiré, un homme va s’assoir à la droite du président, deuxième juré un femme, récusée par la défense, nouveau tirage, une femme, pour le 3 juré, nouveau tirage, une femme, récusée quand elle atteint sa chaise ou presque, puis un homme, puis une femme, récusée, puis une femme, puis un homme. Et les deux jurés supplémentaires sotn un homme et une femme. 5 hommes, 4 femmes donc, l’inverse la semaine dernière. J’ai cru que les récusations c’était à cause de leur genre, mais en y réfléchissant bien, vu que la récusation n’était pas immédiate, je pense que c’était sur la base de la profession ou de l’adresse géographique peut être aussi.
Voilà le jury est composé, ils ont pris place. Le Président leur lit le serment et leur demande chacun son tour de prêter serment. Les huit mains droites levées jurent (si tu ne te souviens plus du serment regarde le billet précédent). Aucun des nouveaux jurés ne l’était la semaine précédente.
A leur place, sur le bureau, les jurés trouvent une feuille de papier avec les questions auxquelles ils devront répondre lors de la délibération. Recto verso. Diantre. Il rappelle que les Assises sont une procédure orale, aussi invite-t-il les jurés à prendre des notes ; la mémoire est une chose fragile ajoute-t-il. Pas d’huis clos requis, je peux rester et assister au démarrage de l’audience proprement dite.
9 jurés tirés au sort la semaine dernière, 11 cette semaine soit 20 au total sur une liste qui comportait 30 noms la semaine dernière (sans compter les suppléants), et 28 cette semaine. Je n’ai pas été tirée au sort, je ne vais pas jouer au loto demain…88 euros d’indemnisation par juré, deux jours pour tout le monde plus les journées d’audience pour les tirés au sort, cela commence à faire une coquette somme.
10h30 les débats sont ouverts
Le président fait une revue du planning des auditions : témoin n°1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 qui aujourd’hui, qui demain. Expert numéro 1, 2, 3, 4. Cela se complique : l’expert numéro 1 n’est pas disponible parce que mobilisé sur l’affaire Knoll (cela m’évoque vaguement une vieille histoire, mais mes voisins sont plus prompts à réagir. Ah oui la vieille dame lacérée de coups et partiellement calcinée en 2018). Le procureur et l’avocat de l’accusé insistent auprès du Président, dans la mesure où cet expert est dans les lieux puisque ce procès se déroule également ici, ne pourrait-il pas venir, ne serait-ce que dix minutes, ce serait mieux que de seulement lire son rapport, son éclairage serait précieux (j’imagine que l’un et l’autre ont des questions à lui poser). Le Président demande à la greffière de contacter l’expert et lui laisser un message en ce sens. Plaidoirie de l’avocat des parties civiles mercredi après-midi, réquisitoire de l’avocat général jeudi matin, plaidoyer de la défense jeudi après-midi. Ah tiens cela pourrait ne durer que trois jours.
A suivre….