Ma première expérience de déléguée, c’était comme déléguée de classe, j’avais dix ans, j’ai tenu ce rôle continûment pendant huit ans, dans trois établissements scolaires différents. Instructif sur le rôle et la place donnée/laissée par les institutions scolaires. Le plus comique c’était en prépa, nous n’avions de délégués que le nom, nous étions des cautions de participation des élèves à la vie de l’établissement. Droit à participer silencieusement au conseil de classe et donner un avis général sur la classe en une phrase. Là d’où je venais, nous étions parties prenantes et pleinement impliqués tant par les profs que par les administratifs. Difficile de mettre un grain de sel dans ce bel établissement parisien, difficile mais pas impossible.
Dimanche 11 juin, c’était un nouveau rôle de délégué. Délégué du candidat à la députation. Un avatar de commissaire politique chargé de vérifier que le code électoral est respecté, il est là pour garantir l’égalité des chances des candidats et favoriser l’encadrement du scrutin afin d’éviter les fraudes (par exemple vérifier la hauteur des tas de bulletins de vote exposés). Il y a aussi une commission de contrôle des opérations de vote qui est chargée de vérifier la régularité de la composition des bureaux de vote ainsi que celle des opérations de vote, de dépouillement des bulletins et de dénombrement des suffrages et de garantir aux électeurs ainsi qu’aux candidats ou listes en présence le libre exercice de leurs droits.
Le code électoral (article R. 57) dit : Chaque candidat, binôme de candidats ou liste de candidats a le droit d’exiger la présence en permanence dans chaque bureau de vote d’un délégué habilité à contrôler toutes les opérations électorales, dans les conditions fixées par l’alinéa 1 de l’article L. 67 ; un même délégué peut toutefois être habilité à exercer ce contrôle dans plusieurs bureaux de vote.
Les délégués titulaires et suppléants doivent justifier, par la présentation de leur carte électorale, qu’ils sont électeurs dans le département où se déroule le scrutin.
Les dispositions de l’article R. 46 concernant les assesseurs sont applicables aux délégués titulaires et suppléants visés au présent article.
Le délégué est nommé par le candidat qui le déclare à la mairie au plus tard l’avant-veille du scrutin à 18 heures en indiquant : les nom, prénoms, date et lieu de naissance et adresse du délégué ; précise le bureau de vote dans lequel il souhaite voir affecter le délégué.
JB a donc déposé jeudi après-midi un joli papier me nommant ainsi que M. déléguées respectivement titulaire et suppléante de notre candidat, sur la totalité des bureaux de vote de la circonscription (soit 51). Ce faisant, nous ne pouvions plus être assesseur, cumul de rôle impossible !
Le maire aurait dû lui délivrer un récépissé qui sert de titre et garantit les droits attachés à la qualité de délégué. Il ne l’a pas fait parce qu’il était trop tard, dixit la dame charmante du bureau des élections. En revanche il a bien adressé à chaque président de bureau de vote un document récapitulant ces informations, et au passage il a masculinisé mon prénom. Never mind…
Le jour du scrutin j’étais censée présenter aux président des bureaux de vote ma carte d’électeur et le récépissé délivré par le maire. Personne ne m’a rien demandé jamais, et une seule personne a vérifié que j’étais bien désignée sur la liste fournie par le maire (deux lignes !), c’est comme cela que je sais que mon prénom a été modifié…
M. a organisé sa tournée des bureaux de vote avec la merveilleuse chauffeur qu’est C, et moi sur mon fidèle destrier violet. Initialement nous avions prévu de commencer ensemble avec ma voiture et puis nous avons changé d’option… C’est bien joli tout cela mais alors notre job consistait en quoi à part dire bonjour aux personnes des bureaux ?
Après la prise de contact et demandé aux personnes comment cela se passait pour elles commençait un temps d’observation : vérifier que les tas de bulletins étaient bien fait et que les bulletins, tous de la même taille, ne se chevauchaient pas ou ne s’effondraient pas les uns sur les autres (jamais observé). Vérifier que les isoloirs étaient régulièrement nettoyés des bulletins de vote non utilisés (j’ai fait le ménage une fois). Vérifier que les poubelles à papier étaient régulièrement vidées (disons qu’avec le taux de participation, sauf à se pencher dans les grands sacs profonds, difficile de savoir ce qu’il y avait dedans). Vérifier que les tas de bulletin étaient homogènes (là je n’ai pas compté le nombre d’interventions polies mais fermes mais cela devenait de plus en plus fréquent au fil de la journée). Vérifier que la réserve de bulletin était hors de vue pour ne pas influencer (je crois que c’était le cas dans quatre bureaux seulement, je les ai félicités !). Comme le disait M. c’est plus souvent par méconnaissance que par intention maline que les bulletins en réserve étaient sur un banc (ou une « table de réserve ») juste derrière les employés municipaux, face bien visibles). Vérifier que les bulletins #MAVOIX étaient bien là (oui tu ricanes mais dans un des bureaux de vote en province ce n’était pas le cas, alors imagine, quand tu le découvres à 9h ce n’est pas trop grave, si tu le découvres à 16h c’est bien plus embêtant). Vérifier que l’urne était bien close. Vérifier que le process électoral était bien respecté dans l’ordre : contrôle d’identité par le président, rechercher sur la liste électorale, vote avec une seule enveloppe, signature du registre d’émargement.
C’est une mini expérience particulière d’observation participante finalement puisque notre seule présence modifie la manière d’être et de travailler des acteurs en place. J’ai trouvé cela intéressant d’observer les interactions entre les électeurs et les différents membres du bureau de vote, les manières de dire bonjour, de prendre des bulletins, le temps passé dans l’isoloir, la gestuelle, les questions posées (comment je vote ? qui est le candidat de Macron ? je viens de déménager, est-ce que j’ai le droit de voter là ? est-ce qu’il faut être inscrit sur les listes électorales pour voter ? est-ce que je dois aller dans l’isoloir…), la ritualisation et la théâtralisation du vote.
Cela me donne envie de faire de la pédagogie, oui mais où ? dans quelles conditions ? comment ? auprès de qui ? avec qui ? Comment toucher ces personnes visiblement déroutées le jour de l’élection ? Je ne sais pas répondre encore, je réfléchis… Qu’est-ce qui est important au fond pour toutes ces personnes quand elles viennent voter ? Qu’avons-nous en commun ? Comment construire à partir et autour de ce commun-là ?