Chaque vie est unique

20140202_111144Elle m’attendait dans le couloir ce matin un peu avant que super Lune ne se cache derrière son gros manteau de nuages pour quelques dizaines d’années. Elle était assise dans l’encoignure de la porte. Il me semblait entendre son souffle et le crissement de ses griffes. Mais c’était si ténu que je pensais rêver. Elle m’attendait en toute discrétion, à la différence d’autres mâtins où elle n’hésitait pas à poncer à sa façon le chambranle des portes, à froufrouter sur des tissus bruyants, et en dernier ressort à sauter à la tête de mon lit pour le plaisir de faire du trampoline sur le matelas et s’enfuir dès que j’ouvrais les yeux. Si tu as un chat tu le sais sans doute, ce sont des mediums. Elle savait que j’étais réveillée en même temps que moi, exactement. Je me suis toujours dit qu’elle devait avoir un détecteur ultra précis d’ondes du cerveau. Avec elle je ne pouvais pas tricher, c’est pour cela qu’elle s’autorisait le trampoline. Elle savait que j’étais réveillée mais que je faisais semblant de ne pas. Et elle me disait : à d’autres, à moi tu ne la fais pas celle-là. Parfois elle se laissait aller à miauler, mais plutôt de loin comme si cela n’était pas tout à fait adressé. Ce matin point de miaulement, juste une assise digne, patiente et déterminée.

Je l’ai prise dans mes bras et nous nous sommes installées sur le lit. Confortablement. Enfin pour moi, parce que pour elle qui n’avait plus de muscles, rien pour adoucir les pointes de ses os sous la peau, je crois que c’était spartiate. Elle m’a laissée l’installer, a rectifié la position à son goût et s’est laissée alanguir, nos respirations se sont synchronisées, chacune son rythme. Plénitude de douceur. Une heure plus tard, je n’avais plus de sang dans le bras droit, et des fourmis un peu partout. Alors je me suis levée doucement et je l’ai installée sur le canapé du salon ; elle a essayé de se caler mais c’était visiblement moins bien que mes bras.

Je l’ai retrouvée un peu plus tard au sol, perdue ou perplexe ; après une longue hésitation elle s’est dirigée vers la porte d’entrée, je lui ai ouvert. Pour la première fois depuis deux semaines, elle est sortie, elle s’est jetée sur le paillasson de coco qu’elle adorait. Elle a fait ses griffes presque sauvagement, avec une énergie incroyable. Puis elle s’est posée pour faire le guet entre la porte de l‘ascenseur et l’entrée. Elle me surveillait du coin de l’œil pendant que je buvais mon thé.
Puis elle est rentrée, a marché jusqu’à la cuisine où elle a miaulé comme hier, de ses miaulements silencieux qui déchirent l’âme. Sans doute la faim la tordait-elle, mais elle ne mangeait plus rien de rien. Continuait de sentir avec un intérêt poli tout ce que je lui proposais mais refusait tout comme une jeune fille anorexique. C’était mon tour d’être perdue dans ce dialogue muet. Elle est retournée au salon, s’est assise et m’a regardée. Je l’ai prise délicatement comme un vase impérial précieux et je l’ai installée dans mes bras, elle ne les a plus quittés.

Nous avons fait le tour de la maison. Dans une chambre, elle a voulu que j’ouvre la fenêtre, vérifié que tout était en place dans le jardin en bas. Pas de trace du nouveau chat noir qui traine de temps en temps. Ouf. Puis nous sommes allées dans ma chambre, là elle a voulu que je la pose sur un meuble à côté de la fenêtre, un meuble à sieste et à câlin sur lequel elle n’avait plus la force de monter. Elle regardait le ciel, je ne sais si elle cherchait la lune ou surveillait les pigeons et les corbeaux.

Et puis elle a voulu partir alors nous sommes allées au salon, je l’ai calée contre moi, sa tête sur mon épaule, j’ai calé le bras qui la portait avec des coussins et nous sommes restées là ensemble, sur le canapé en silence et en communion jusqu’à ce que la vétérinaire arrive. Avec sa maladie mystérieuse, nous avons pulvérisé tous les anciens records de durée. Elle qui sautait des bras à la minute même où je me mettais à divaguer ou à penser à autre chose qu’à sa présence, elle était devenue beaucoup plus souple.

Elle a su avant moi, bien sûr, que le vétérinaire arrivait. Elle a redressé la tête et s’est demandée quelle conduite tenir, puis a décidé de replonger son museau blanc dans ses pattes tigrées et de reprendre le câlin comme si de rien était.

Quand l’interphone a sonné, elle a un peu sursauté, son cœur s’est accéléré, et puis elle a décidé de se lover encore plus dans mes bras.

Nous avons ouvert à la vétérinaire et nous sommes installées toutes les trois au salon. Je me suis rassise dans le canapé, nous nous sommes recalées et je lui ai refait plein de bisous. Depuis que j’ai pris la décision de l’aider à partir elle veut bien des bisous. Avant c’était presqu’impossible alors j’en ai profité. J’aime tellement enfouir mon nez dans son poil chaud et laineux.

Je lui ai fait mes derniers adieux. Je lui faisais tous les soirs depuis trois jours et puis hier je lui avais dit que j’avais pris la décision de l’aider à partir, que la laisser mourir d’épuisement et de faim n’était pas digne. Ce n’est pas digne pour les humains, ce n’est pas digne pour les animaux. Elle pouvait partir avec la lune aussi, mais non elle est restée encore un pour nous offrir cette matinée de douceur complice.

Quand la vie s’est échappée d’elle, nous avons posé son petit corps de chatte sur un joli drap blanc sur la table, je l’ai câlinée, couverte de baisers et j’ai glissé une belle grande fleur d’hibiscus orange, ouverte d’hier matin, entre les pattes, sous le bidou, là où les poils sont si doux. Et puis quand cela a été le moment, nous avons replié le drap, glissé la princesse dans un grand sac blanc, et glissé le sac dans un petit carton grand comme une caisse de transport. Là elle était bien en rond, comme un chat qui dort, dans son drap et son petit sac blanc. Cela mettait délicatement en valeur ses jolies couleurs mordorées. Je lui ai fait un dernier bisou (je crois le seul que je lui aurai jamais fait sur le museau sans qu’elle proteste du tout), le pistil d’hibiscus lui chatouillait les pattes. Je l’ai admirée une dernière fois, elle était si belle, son visage était redevenu le sien, débarrassé de son épuisement des derniers jours. J’étais tellement émue. Et puis j’ai replié le drap, la vétérinaire a replié le sac et puis voilà.

Princesse vaillante

img_20161111_poangIl était une fois une petite chatte, toute petite, qui vivait à la campagne dans une maison avec sa maman, et sans doute ses frères et soeurs. Et pas trop de soins mais des croquettes. Quand la rentrée scolaire arriva, elle fut balancée sur un grand parking de banlieue, fort fréquenté pour la rentrée des classes. Du haut de deux-trois mois, un parking c’est assez terrifiant. Beaucoup de chatons font cette expérience et se retrouvent aplatis comme des crêpes par les voitures qui rentrent, sortent, reculent. Celle-là eut de la chance, une petite fille passait par là et la vit. Elle tira sa maman par le bras pour qu’à deux elles attrapent la chatonne terrorisée. Après un petit moment de cache-cache, elles furent victorieuses, la chatonne se laissa attraper et se mit à ronronner dans le creux de leurs mains. Oui mais voilà, la bonne fée avait déjà deux chats et deux chiens et ne pouvait pas garder la miraculée. Alors comme sur ce parking là, il y avait aussi un magasin pour animaux elle piqua droit dessus. Elle tenta en vain de faire prendre en charge la chatonne par ce magasin qui vendait des chats, entre autres, l’employé désolé lui expliquait que pour des raisons d’hygiène, il ne pouvait pas prendre le chaton (on ne savait pas encore que c’est une chatonne). La dame était désespérée, elle ne voulait pas remettre le chaton sur le parking.

Je proposai à la dame de prendre en charge le petit animal, et de le confier à mon vétérinaire qui travaillait avec des associations de protection animale, lui expliquant que c’est comme cela que j’avais trouvé mon premier chat. Elle n’était pas rassurée, pas très confiante, elle avait peut être peur que je la donne à manger à mes serpents – et la petite fille voulait absolument garder le bébé chat. Après quelques minutes d’hésitation elle m’a demandé si le vétérinaire allait l’euthanasier. Je lui ai répondu que non sauf si elle avait une pathologie grave. Elle s’est décidée à me confier la boule de poils. J’ai demandé un carton au magasin pour mettre la miss dedans et l’employé m’a donné tous les échantillons de nourriture pour chaton qu’il avait. Sympa. Et nous voilà, mon amie et moi en route pour Paris avec un paquet surprise qui se mit à lancer des pets pestilentiels plus intenses que des boules puantes. Elle avait un très gros ventre et sentait mauvais.

Chatonne a fait le trajet, sage comme une image, posée sur les genoux de mon amie. Une vraie boule de ronrons. Mon amie me taquine : tu n’avais pas dit que tu voulais prendre un 2e chat ? Elle m’a l’air très bien cette petite, pas sauvage du toute, très sociable, très câline… Moui, je ne sais pas. Je crois qu’à l’époque j’étais encore fixée sur le rêve de ma fille d’une chatte noire et blanc (qui s’était matérialisée en fait sous la forme d’un somptueux Prince oriental Bleu et Abricot sorti de la rue, mais c’est une autre histoire). Je la garde ce week-end dans une pièce à part, lundi je vois chez ma véto et je décide ensuite.  Entre temps nous étions passée chez un vétérinaire de garde qui nous a annoncé : c’est une fille, vous avez de la chance elle n’a pas de puces, elle a sans doute des vers qui lui donnent ce gros ventre, je la vermifuge et voyez ensuite avec votre vétérinaire lundi comment cela va et prendre le relais.

Et puis de fil en aiguille elle est restée, révélant que son caractère de chatonne câline et sociable, avec une belle composante sensuelle avait un revers de médaille de chatte très indépendante, froide, imprévisible et solitaire. Elle est en fait hyper sensible et réagit à la moindre variation d’attention par le repli ou la fuite. C’est une chatte qui a besoin d’être encouragée, mais cela je ne l’ai compris que plus de dix ans plus tard. J’ai construit d’elle une image faussée qualifiant de peur ce qui était son extrême sensibilité,son manque de confiance et sa grande vulnérabilité aux émotions fortes. Elle donnait parfois l’impression d’être cyclothymique, de vouloir une chose pour y renoncer dans l’instant suivant. Pas de chance pour elle, elle est arrivée dans une maison où régnait un chat très sociable, très extraverti, exclusif et hypersensible lui aussi, une fois et demi plus grand qu’elle. Elle a grandi un peu sous l’étouffoir de ce « grand frère » encombrant, âgé de quatre mois de plus qu’elle ; elle a vécu dans son ombre, ne montrant que parcimonieusement sa lumière, toujours en tête à tête, sans témoins autour.

Je la mettais sur mon épaule pour aller chercher ma fille à la sortie de l’école, elle ne bougeait pas et avait un franc succès auprès des enfants même si elle n’avait pas trop envie d’être caressée. Etre là c’était bien.

Un samedi pascal, elle a brûlé une de ses vies et révélé son caractère caché, que je n’ai pas su vraiment bien voir, pas encore. Je suis lente ! Je suis rentrée du marché et elle n’était plus dans l’appartement. Après quelques minutes d’angoisse, je me suis rendue à l’évidence, elle était tombée du 5e étage. Pas morte sur le coup puisque pas en bas de la fenêtre. Dans l’immeuble d’en face un monsieur m’a fait des grands signes confirmant ce que j’avais deviné. J’ai couru en bas et cherché comment rentrer dans ce jardin privé embastillé. J’ai réussi à convaincre un postier de m’ouvrir la porte d’accès et là, face à la végétation abondante, j’ai fait un tour en l’appelant, sans réponse. J’ai fermé les yeux et laissé mes pas me guider. Je me suis agenouillée près d’un genévrier rampant, j’ai appelé doucement, un miaou m’a répondu. Mon coeur a explosé de joie. Elle est en vie, elle est consciente. Je me suis mise à plat ventre et là, sous le genévrier, j’ai vu la minette qui me regardait avec ses grands yeux verts m’implorant de venir la chercher. Elle ne bougeait pas, elle miaulait. Quant à moi, sauf à couper les branches du genévrier, je ne pouvais pas l’atteindre. J’ai continué à lui parler, à l’appeler pour tenter de la convaincre de venir. Après un moment que j’ai trouvé bien trop long, elle a commencé à ramper vers moi. J’ai immédiatement pensé « et merde elle a quelque chose de cassé, pas la colonne vertébrale c’est déjà cela ». Elle n’utilisait que ses pattes avant. Je crois que je ne respirais plus. A deux mètres de moi, elle s’est mise debout et a couru vers moi. Ouf le soulagement. mais comment la porter sans lui faire mal ? J’ai trouvé, une manière encore utile aujourd’hui où elle est très très faible. Entre temps le voisin était descendu me parler. Cela n’a pas plu à la princesse qui a sauté de mes bras. Elle sait ce qu’elle ne veut pas. Là je me suis dit, bon, cela va, pas de grave lésion, sauf peut être interne. Je suis rentrée avec elle dans les bras, elle est allée directement à la litière puis dans son panier. Elle a dormi trente six heures ne se levant que pour boire et uriner, et avaler les granules d’arnica que je lui mettais dans le bec à intervalle régulier. Son premier réveil, les muscles froids, a été compliqué. Elle ne comprenait pas bien dans quel drôle de corps elle était. Les habitudes ne fonctionnaient pas alors, elle est passée en mode essayer une patte, l’autre, changer si le poids est trop lourd. Déplier le corps muscle après muscle. Ne rien lâcher. Refuser toute assistance. Respect mademoiselle ! Séquelles : aucune.

Et je retrouve aujourd’hui cet aspect là de ce trait de caractère que j’avais un peu oublié, samouraï très déterminé. Elle a toujours manifesté son indépendance à toute forme de pression et se détermination sans faille à ne pas faire ce dont elle ne voulait pas. Cela se lit bien dans ses yeux qui peuvent être sauvages, et pas très humainement lisibles. Maintenant qu’elle est malade, elle est de plus en plus lynx. Parfaitement silencieuse et secrète, apprivoisée mais sauvage, énigmatique. Avec un poil soyeux à se damner.

Pendant quelques jours elle ne pouvait plus s’accroupir pour uriner, elle se couchait sur le flanc. Et puis elle a trouvé comment faire, elle ne se couche plus. La cortisone a déclenché un oedeme impressionnant des pattes, elle s’est retrouvée avec trois pattes sur quatre, d’une taille à rivaliser avec les éléphants. Elle ne pouvait plus plier ses articulations de cheville. Elle a continué vaillement à aller boire seule et se déplacer seule. J’avais rapproché l’eau et la litière de là où elle dort, elle est partie dormir ailleurs.

Elle a cessé de s’alimenter depuis 9 jours, elle se déplace toujours seule, lentement mais seule. Et gare si je lui apporte de l’eau qu’elle n’a pas demandé, elle la refuse ou attend que je m’en aille pour se mettre à boire, voire se lève pour aller boire ailleurs.

Alors je l’appelle Princesse samouraï maintenant, coeur vaillant. Elle n’a pas peur de son état, ou du moins n’en manifeste rien. Elle est parfois surprise de ce que son corps lui impose, mais elle compose avec. Elle ne quitte pas les pigeons des yeux, les muscles bandés comme si elle allait chasser. Elle va au bout de ce qu’elle peut, n’hésite pas à sauter (mais où trouve-t-elle la force) une marche au besoin. Elle vient demander un câlin en miaulant mais aucune son ne sort plus de sa bouche. Son corps tourne au ralenti, il se meurt, mais rien dans ses yeux sauvages de belle Princesse ne permet de le deviner.

Sortie d’obsèques

L’église était pleine, remplie de personnes différentes, témoins des mondes que tu as habités. Des personnes réunies pour t’accompagner dans ce passage, ayant suspendu leurs occupations comme le dit à propos le prêtre. Ta maman, ta femme, tes filles, tes frères et toute ta famille, les familiers de tes mondes professionnels et de tes mondes spirituels. Une belle assemblée.

Dehors le ciel hésitait entre ombre et lumière, ce matin il pleuvait, mais tu es arrivé à l’église sous un soleil radieux, et puis des gouttes de grosse pluie presque de la neige ont accueilli les derniers arrivants.

Ton cercueil tout simple est entré par grand beau, le soleil a irradié par les vitraux ; près de moi un barreau de chaise ressemblait à de l’or pur.

obsèques-fleurs

Sur ton cercueil une magnifique couronne de fleurs blanches et un portrait lumineux de toi. Les yeux pétillants.

Quand le prêtre a ouvert le rite de la lumière, une pluie diluvienne s’est mise à tomber, étouffant la voix du prêtre, je crois même qu’il grêlait…. C’est bien toi cela, célébrer ton passage avec les éléments, invitation à laisser irradier les diamants purs au profond de nos cœurs.

Ceux qui ont préparé la cérémonie ont choisi deux textes, l’un de St Jean qui ne m’est pas familier, l’autre est un de mes psaumes préférés (Ps22) lu avec tant d’émotion et de tendresse par un de tes proches :

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

Les prières universelles n’ont pas été lues par tes proches, étonnant, cela m’a donné une impression de froideur inhabituelle à ce temps de prière en commun. J’aurais aussi aimé un temps de fraternité et de paix entre les présents. Se serrer, se tenir chaud, se serrer les coudes. La célébration c’est aussi un temps de consolation ensemble, croyants ou non, un temps pour faire place au mystère de la vie, de la mort.

Après l’absoute du prêtre nous avons été invité dans un joyeux bordel à venir te dire A Dieu, qui avec un rameau de buis, qui avec un aspersoir.

J’ai appris que tu chantais, je ne le savais pas ou je l’avais oublié. Et j’ai trouvé l’absence de chant encore plus triste encore pour cette célébration d’au revoir. Alors, en rentrant chez moi, rien que pour toi et moi, je t’ai chanté le chant religieux de Jean-Claude Gianadda que j’aime tant :

Trouver dans ma vie ta présence,
Tenir une lampe allumée.
Choisir avec toi la confiance,
Aimer et se savoir aimé(e).

Croiser ton regard dans le doute,
Brûler à l’écho de ta voix.
Rester pour le pain de la route,
Savoir reconnaître ton pas.

Trouver dans ma vie ta présence…

Brûler quand le feu devient cendre,
Partir vers celui qui attend.
Choisir de donner sans reprendre,
Fêter le retour d’un enfant.

Trouver dans ma vie ta présence…

Ouvrir quand tu frappes à ma porte,
Briser les verrous de la peur.
Savoir tout ce que tu m’apportes,
Rester et devenir veilleur.

Trouver dans ma vie ta présence,
Tenir une lampe allumée.
Choisir avec toi la confiance,
Aimer et se savoir aimé(e).

 

Une bougie brûle dans mon salon, le ciel est rose,
ton corps brûle non loin de là,
et toi tu es là avec nous, invisible et présent,
pour autant que nous te fassions une place.

Tanti Baci

Suis ton perçu
ton intuition, fais confiance à tes sensations
Laisse-toi porter par ton corps
C’est le fondement d’une réalisation de soi
Paix et lumière dans tes corps.

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Voilà, ce sont les derniers mots de toi vivant qui me restent. Tellement forts et tellement toi. Je garde aussi la bande sonore d’un long entretien que nous avons eu ensemble. Je venais t’interroger sur ce que ton métier t’avait appris sur toi, sur la sagesse que ton métier t’avait apporté (tes nombreux métiers comme je l’ai découvert).

En l’espace d’une entrevue nous sommes passés de complets inconnus à complices, disciples du vivant. Les masques sont tombés très vite, nous avons reconnus l’un chez l’autre quelque chose qui ne se dit pas mais s’éprouve. Nous sommes faits de la même terre et du même souffle vital.

Je suis venue travailler avec toi des territoires inconnus, et apprendre en chemin à mieux te connaitre, à mieux me connaitre. Nous avons fait un très beau voyage avec les autres élèves du groupe, singulière expérience d’être un ensemble et d’être un(e) séparé(e), singulier(e).

Tu étais un témoin vibrant de la vie dans son opulence, sa générosité, son humilité et tu savais la faire goûter jusqu’au tréfonds de nos cellules. Tu étais un témoin éclatant de l’importance du travail sur soi, de la responsabilité que nous avons vis à vis de nos vies, de notre évolution, et de ceux et celles qui nous accompagnent, notamment les animaux.

Tu avais à cœur de nous apprendre à explorer, ressentir, développer et cristalliser la conscience de notre Être profond dans toutes nos dimensions :  connaissance directe, spirituelle, mentale, émotionnelle, énergétique et physique.

Tu étais comme les cuisiniers zen à mettre un soin amoureux dans ce que tu faisais, la manière dont tu cuisinais (tu aimais la cuisine sensorielle : alchimie des plantes sauvages et du jardin), la manière dont tu nous accueillais, dont tu enseignais avec humilité ; tu savais nous rendre chacun et chacune unique et précieux.

Paix, joie et lumière à toi précieux compagnon !

 

Béryl….

Détail de vitrail, PragueIl est bon aussi d’aimer ; car l’amour est difficile. L’amour d’un être humain pour un autre, c’est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c’est le plus haut témoignage de nous-même ; l’œuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations. C’est pour cela que les êtres jeunes, neufs en toutes choses, ne savent pas encore aimer ; ils doivent apprendre. De toutes les forces de leur être, concentrées dans leur cœur qui bat anxieux et solitaire, ils apprennent à aimer. Tout apprentissage est un temps de clôture. Ainsi pour celui qui aime, l’amour n’est longtemps, et jusqu’au large de la vie, que solitude, solitude toujours plus intense et plus profonde. L’amour ce n’est pas dès l’abord se donner, s’unir à un autre. (Que serait l’union de deux êtres encore imprécis, inachevés, dépendants ?) L’amour, c’est l’occasion unique de mûrir, de prendre forme, de devenir soi-même un monde pour l’amour de l’être aimé. Se perdre dans un autre, se donner à un autre, toutes les façons de s’unir ne sont pas encore pour eux. Il leur faut d’abord thésauriser longtemps, accumuler beaucoup. Le don de soi-même est un achèvement : l’homme en est peut-être encore incapable.
Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke

Il y a bien des années nous avions choisi de partager ce texte de Rilke avec ceux qui nous avaient fait la gentillesse de nous entourer en ce jour spécial pour nous. Je crois que je ne mesurais pas alors tout à fait la justesse de ces lignes. Je ne mesurais pas mon aveuglement, ma jeunesse, mon incomplétude, mes folles attentes et mes non moins folles exigences. « L’amour, écrit-il plus loin, c’est le commerce d’une humanité avec une autre (…) deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant, et s’inclinant l’une devant l’autre. « . Je ne mesurais pas non plus le fait que ce chemin qu’il propose est  le chemin d’une vie. Combien c’est crucial et difficile de se frotter à l’autre, aux autres, de se polir jour après jour.

L’actualité ne rend pas ce chemin plus facile, et en relisant les lettres aujourd’hui, je suis tombée sur ce passage oublié qui parle du doute. Et il me semble que remplacer le mot doute par le mot peur pourrait être très fécond en nos temps troublés :

« Votre doute lui-même peut devenir une chose bonne si vous en faites l’éducation : il doit se transformer en instrument de connaissance et de choix. Demandez-lui, chaque fois qu’il voudrait abîmer une chose, pourquoi il trouve cette chose laide. Exigez de lui des preuves. Observez-le : vous le trouverez peut-être désemparé, et peut-être sur une piste. Surtout n’abdiquez pas devant lui. Demandez-lui ses raisons. Veillez à ne jamais y manquer. Un jour viendra où ce destructeur sera devenu l’un de vos meilleurs artisans, – le plus intelligent peut-être de ceux qui travaillent à la construction de votre vie. »

 

Impromptus

Vendredi matin. Le téléphone sonne. Pour une fois j’arrive à décrocher correctement. Bonjour ! Ah vous cherchez quelqu’un pour vous aider à préparer votre retraite et vous avez aimé mon site… ? Gros sentiment d’incompétence mais quand la vie fait un cadeau pareil cela ne se refuse pas. Mandala de la vie !

Vendredi midi. Gare de Lyon. Buffet de la Brioche dorée (je la cherche encore !). Une dame très timide, très gênée me demande si elle peut me passer devant pour commander un sandwich à sa mère qui sort de clinique et ne peut pas rester debout. Bruit de béquilles raclant le goudron. Faites mesdames, faites. Yeux embués. Elles me remercient en partant. Je souhaite à la patriarche toute minuscule, les cheveux blanc immaculés, une bonne convalescence. Elle sursaute et me dévisage. Ah j’ai dis un gros mot ?

Vendredi midi. Je monte dans le train. Un jeune homme, bonne bleu vissé sur les oreilles, elles même perforées d’écouteurs blancs comme neige, m’ouvre la porte. Merci ! lui dis je ne souriant. Ah mais c’est normal Madame (ben oui vu mes cheveux blancs). Normal je ne sais pas, mais agréable c’est certain. Et je vais m’installer. Cinq minutes plus tard il arrive, ah c’est rigolo je suis à côté de vous.Oui le hasard… Arrive un monsieur chic qui me regarde un peu perplexe, je crois que vous ête sà ma place. Possible lui dis en principe je suis place 107 (et j’étais assise place 108). Non me dit il moi aussi je suis place 107. Ah bizarre. Vous êtes en quelle voiture ? 16 ! Mais on Madame ici c’est la 15. Ah pardon. Je vous laisse la place. Mon voisin au bonne et bleu regarde son billet. Ah zut je me suis trompé aussi, je suis voiture 18…. Non mais je te demande un peu à quoi tiennent les rencontres…

Vendredi midi. Je vais dans la bonne voiture et je vais m’asseoir à côté de ma collègue, pas à ma place. Arrive un hipster (oui je case le mot je l’ai appris le we dernier). Je lui dit que je suis en place 107 et qu’il serait charmantissime s’il voulait bien s’asseoir là bas pour que je puisse rester avec ma collègue. Oui pas de problème du moment que ce n’est pas un carrè. je déteste les carres je ne peux pas déplier mes jambes. OK lui dis je (il doit passer sous la toise du 1.80 largement). Il va voir et revient la mine piteuse. Madame c’est un carré. Enfer et damnation ! Bon je vais aller voir si mon voisin de là bas veut bien venir là alors. Se lève à coté un jeune homme non hipster et sans bonnet bleu sur la tête. Non non Madame, ne vous donnez pas cette peine, je peux aller m’asseoir là bas. Restez avec votre amie. Moi cela m’est égal et mes jambes trouveront bien de la place. Je suis petit (dit il en me faisant un clin de voilà c’est une chance n’est-ce pas ? (ah la magie des cheveux blancs)

Vendredi après-midi. Dans le train. Mon téléphone sonne (ah zut j’avais oublié de le couper !) Maman, elle est où la bombe pour imperméabiliser mes chaussures… Soupir….

Vendredi après-midi. Dans le train. Mon téléphone vibre. Je sors sur la plateforme. Oui je suis dans le train, la communication peut être mauvaise… non je ne pourrai pas te rappeler  à ce moment là… ah oui mais je serai encore dans le train…. je serai à 20h30 gare de Lyon, je peux t’appeler si tu veux quand j’arrive… Ah tu me retrouves gare de Lyon pour aller prendre un pot c’est plus agréable pour parler que le téléphone. Ah ben oui, super. Je me réjouis !

Vendredi après-midi. Dans le train. Un contrôleur de bonne humeur nous salue ma collègue et moi. « Ah quand je vois des clientes comme vous ma journée prend tout son sens… (quelques échanges plus tard) Tiens d’ailleurs pour vous remercier de votre fidélité, si vous voulez finir votre voyage en première vous êtes mes invitées. »

Samedi midi. Cantine vietnamienne surpeuplée. obligées de s’installer dans la première salle qui n’a rien à envier aux salles de spas perdus d’une gare. Table de quatre, nous nous mettons au milieu pour profiter de l’espace. Arrive dans mon champs de vision une mamie tremblotante sa carte bleue à la main, l’autre agrippée à son sac à main. Elle pose son sac sur notre table et demande penaude « cela vous ennuie si je m’installe là pour ranger mes papiers ? » Non non madame, je vous en prie. Derrière se tient un grand escogriffe, son compagnon sans doute, qui étudie le bout de ses chaussures. La dame tremble tant et plus, j’ai bien envie de lui ranger sa carte dans son sac parce que là je sens qu’elle en a pour un bon quart d’heures. Et puis nos yeux se rencontrent. Je lis la peur dan les siens, alors les miens sourient (tu noteras qu’ils ne m’ont pas demandé mon avis). Elle range plus tranquillement ses affaires, susurre une merci et s’efface. Elle sursaute quand je lui souhaite un bon après midi. Ah zut encore un gros mot. L’homme passe et me glisse tout doucement un merci madame, vous aussi très timide…

Samedi après-midi à la FNAC. Rayon santé naturelle. Je vois le livre que ‘jai partagé sur FB le matin même cela m’amuse. Je le prends en main, oula c’est lourd, un beau livre aux éditions du Chêne. 35 euros. Cher. Arrive un monsieur aux air de JP Coffe (mais pas lui hein, genre seulement). Il attrape un autre livre du même auteur, me regarde et me dis, moi je préfère celui là (celui qu’il a en mains). Ah, dis-je très inspirée ? Oui cela me semble plus accessible, et d’ailleurs c’est pour un client ! Ah, ajoutai-je ? (Tu vois j’ai de la conversation comme fille). Vous êtes comme moi ? Vous préférez prévenir que guérir ? Ben oui (tu as vu l’exploit, deux mots cette fois) ! Dites Madame, vu que vous avez l’air de vous y connaitre…. Heuh je suis comme vous Monsieur je m’y intéresse, de là à dire que je connais…. Oui bon, vous savez si je peux trouver de pharmacies qui font des mélanges de plantes ou d’huiles essentielles ? Oui, et de lui donner les adresses et de l’inviter à aller à l’herboristerie de Palais Royal aussi (je vais aller chercher leurs cartes de visites cela fait trois fois cette semaine qu’on me pose la question !)? Ah merci, mais dites pour quelqu’un qui ne s’y connait pas, vous êtes pas mal compétente ! Merci, merci… et lui de me raconter sa vie, son œuvre et de disparaitre comme il est apparu !

La vie est la vie

Je reçois ce soir les vœux plein d’humanité d’une relation professionnelle, le copain d’un copain de boulot, avec qui j’ai eu plaisir à échanger au cours des deux dernières années sur ses projets professionnels d’accompagnement de femmes. Une chouette personne que je suis heureuse de connaître. Ses vœux colorés et illustrés, commentés d’une phrase de mère Térésa  m’ont remis en mémoire l’hymne à la vie. Je trouve que c’est une belle période pour le relire ensemble….

La vie est une chance, saisis-la.
La vie est beauté, admire-la.
La vie est béatitude, savoure-la.
La vie est un rêve, fais en une réalité.
La vie est un défi, fais lui face.
La vie est un devoir, accomplis-le.
La vie est un jeu, joue-le.
La vie est précieuse, prends en soin.
La vie est une richesse, conserve-la.
La vie est amour, jouis-en.
La vie est mystère, perce-le.
La vie est promesse, remplis-la.
La vie est tristesse, surmonte-la.
La vie est un hymne, chante-le.
La vie est un combat, accepte-le.
La vie est une tragédie, prends la à bras le corps.
La vie est une aventure, ose-la.
La vie est bonheur, mérite-le.
La vie est la vie, défends la.

 

Le phare

Tout frêles encore, les garçons ondulent dans le grand vent du ciel. Ils ont l’âge du chêne, du frêne et du saule que Grand-père a planté à l’ombre de leur aînés dans la cour de la ferme, le jour de leur naissance. Arbres de plein vent que les enfants contemplent en frémissant, en se promettant une fidélité d’amoureux : mourir ensemble ou ne pas se survivre. Leurs racines ont poussé dans un entrelacs de terre, de bois, d’amour et de souffrance.

Leurs regards scrutent l’horizon ; ils jouent à qui découvrira le premier les côtes acérées des îles qui se dénudent par grand beau. Ils guettent la vie avec la certitude inébranlable des enfants. Ils ont depuis longtemps secrètement choisi la côte de granit qu’ils préfèrent et qu’ils ont polie par leurs caresses lointaines. Grand-père porte silencieusement leur secret léger d’enfants, leurs amours insolites. Ils s’amusent les yeux entrouverts, à imaginer ce que la marée leur donne à voir. Alors par tous les temps, toutes les lumières et les saisons, ils viennent à leur tour remplir leurs yeux des trésors que l’enfance sème pour la vie. Peintres d’émotions, ils font défiler sur leurs pupilles cristallines des images mélangées de terre, de ciel et d’eau, anamorphoses des îles. Grand-père leur a appris à discerner dans les brumes de chaleur, les tons plus profonds des rochers, les éclats subtils du mica. Cette présence lointaine et intouchable les rassure.

Les narines ivres de varech et d’iode, ils hument les histoires du pays. Elles ont ajouté à leurs propres sensations une palette d’émotions à venir. Ils savent que le granit de la ferme, arraché aux entrailles des îles a vu défiler des kyrielles de vie, de sermons, de promesses et de mensonges. La pierre du seuil se souvient de la douleur de l’aïeule qui apprit la mort de son époux. La plus grande de la grange pourrait témoigner des baisers volés, celle du petit angle connaît tous les câlins qui font vibrer tant d’autres murs. Ces pierres ont vu naître plus d’animaux qu’une vie d’homme n’en contient. Au fil des ans, à force de vivre, elles sont devenues douces… muettes, elles témoignent.

Les enfants les plus grands cherchent parfois à démêler les pensées des rêves enfouis. Ils s’enivrent des histoires que les vagues narrent chaque soir. Le corps chaud de la plage enflamme leur imagination et le clapotis de la mer monte et s’infiltre partout, patiemment, inlassablement, dans leurs vies, dans leurs rêves. Le même combat se livre tous les jours dans les grands draps de la plage. La rivière creuse un lit que la mer détruit.

La mer nous a enseigné la mort, celle qui fige les bêtes dans un mouvement éternel. Le soleil et le vent nous ont montré le poids des ans, l’usure du temps qui ravine le corps des morts plus vite encore que celui des vivants. Nous redoutions toujours le premier pas en haut des dunes d’où la plage s’ouvrait à perte de vue. Comme Grand-père, nous ne pouvions nous défaire du souvenir des animaux qui vinrent s’échouer les uns après les autres sur le sable. Nous ne pouvions pas plus nous défaire de l’odeur un peu âcre, écœurante, du mazout qui avait écrit en majuscules le chant funèbre des oiseaux agonisants.

Tout de bogue vétu

Il s’est aventuré seul dans le soleil de la forêt, nu comme un vermisseau nouveau-né.

Il a demandé aux fleurs la permission de les cueillir, goûté quelques baies, lappé l’eau fraiche, poursuivi tout le jour oiseaux et lapins de ses jeux .

La nuit est venue avec son manteau froid, les animaux se sont tus, et les arbres aussi. La solitude est devenue un peu plus épaisse et poisseuse.

Il grelottait en silence attendant patiemment que la nuit passe.

La forêt a déposé à ses pieds une bogue de châtaigne à peine ouverte et odorante, le lait de la gousse avait pris corps, délicat croissant de lune.

Il s’est penché délicatement, a posé ses fleurs en offrande, et la bogue s’est ouverte plus grand, il s’est faufilé dedans pour se réchauffer à ses tanins. L’amande était devenue femme. Elle a ouvert les bras pour l’accueillir.

La chaleur est devenue incandescence.

(librement inspiré d’une peinture d ‘Eva)

 

Le rêve qui nous guide

Tantôt boitant, tantôt ragaillardi, nous nous frayons chemin en notre humanité.
Où l’ombre et la lumière se côtoient et ondulent en une danse d’éternité…*

À chemin battu il ne croît point d’herbe, les sourcières le savent bien, elles qui préfèrent les chemins de traverses, les chemins bosselés et creux, les détours. Elles qui n’aiment rien tant que se perdre pour se retrouver, elles qui marchent en funambule sur la frontière souple entre ombre et lumière.

Pour pénétrer au cœur de la forêt, il faut apprendre à s’amenuiser, à laisser les ronces déchirer les vêtements superflus en lambeaux. Lambeaux que la sage forêt recycle en doux draps pour oisillons au coeur de nids profonds.

Ôter une à une ses vieilles peaux, usées mais tellement précieuses pour avoir su préserver tout ce temps la vie au dedans de soi. A chaque peau qui tombe, à chaque vêtement qui disparait, le pas devient plus léger, et l’air plus vif, plus cinglant aussi.  Réduit à soi même, le monde se simplifie à ce qui est là, si loin si proche.

Le frottement des feuilles et des branches fouette le sang et réveille les corps anesthésiés. Découvrir alors le sol sous ses pieds comme un paysage neuf, laisser ses poumons s’emplir d’un air incroyablement complexe, incroyablement riche des énergies de tous les vivants du lieu. C’est un peu de leur vie qui se transfuse à chaque bouffée d’air prise et relâchée.

Marcher, marcher encore en se fiant à sa boussole intérieure pour entendre de mieux en mieux les paroles des oiseaux, des arbres, des mammifères, des cailloux, le gazouillis de la rivière. Apprendre le silence des cailloux. Le frôlement des nuages. Le tintinnabulement des étoiles.

Marcher, non pas droit vers le but, ce serait perdre son âme ; marcher au contraire pas après pas, comme si c’était le premier, comme si c’était le dernier, et gouter chaque mouvement. La source au fond de soi connait parfaitement la source des choses et sait où aller. Elle guide nos pas aussi surement qu’un aveugle dans la nuit. Elle ne parle ni le langage de la raison, ni celui de l’imagination, elle parle le langage sensible des rêves.

L’ombre et la lumière soufflent le froid et le chaud pour que puisse éclore dans nos cœurs le rêve qui nous guide. Nous avons besoin de côtoyer les deux, de plonger dans les deux, de danser avec les deux. Danser sa vie pour suivre son rêve.

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Wadih Choueiri, Divine comédie sur son blog.