L’arbre de vie

On raconte qu’il y avait autrefois au centre du village un arbre immense dont la ramure touchait le ciel. Il était grand, on le voyait de très loin, et il était tellement vieux que tout le monde l’avait toujours vu là au village. Il était curieusement divisé en deux branches principales, égales, qui portaient des fruits tout au long de l’année. Personne n’avait jamais osé en manger parce qu’une ancienne légende disait que l’une des branches donnait des fruits empoisonnés alors que l’autre donnait les fruits les plus succulents du monde. Et malheureusement personne ne se souvenait plus quelle branche était la bonne. Les fruits tombaient des branches et pourrissaient au sol sans que personne ne les touche.

Une année, une terrible sécheresse s’abattit sur la région. La pluie avait déserté depuis des mois, et rien n’y faisait. Elle demeurait introuvable.  Les nappes phréatiques étaient terriblement basses, interdiction était faite d’arroser quoi que ce soit, même aux fermiers. Ils avaient même dû tuer quelques unes de leurs bêtes qu’ils n’arrivaient plus à nourrir. Les habitants du village finirent par maigrir à vue d’œil et ne mangeaient plus qu’un jour sur deux. Les hommes et les femmes du village, se blottissaient parfois sous l’ombre du grand arbre pour palabrer. C’était une misère de voir autant de fruits qui peut être leur sauveraient la vie. Oui, mais comment faire pour repérer la bonne branche ? Personne n’avait envie d’essayer et de risquer la mort tout seul.

Un vieil homme, qui avait fini de parfaire l’œuvre de sa vie, décida de prendre le risque de choisir un fruit. Tout le monde suspendit son souffle et le regarda partagé entre l’effroi, l’admiration et la perplexité. Il mâcha paisiblement une bouchée après l’autre, savourant la pulpe parfumée et humide qui glissait dans sa gorge. Il resta debout l’air bienheureux, bien vivant ! Trop heureux, tous les habitants du village cueillirent à leur tour un fruit de la même branche en évitant soigneusement ceux de l’autre. ô miracle, les fruits se régénéraient au fur et à mesure tant et si bien qu’il était impossible de savoir combien il y en avait.

Le soir; les villageois organisèrent une veillée pour célébrer cette bonne nouvelle. Ils étaient très heureux de cet arbre qui leur redonnait vie par ses fruits.  Le conseil du village, soucieux de protéger les générations futures, décida de couper l’autre branche. Comme cela personne ne pourrait plus se tromper. Aussitôt dit, aussitôt fait et les villageois ne se séparèrent que lorsque la dernière braise s’éteignit. Ils allèrent se coucher, en paix, satisfaits de leur journée et de leur sage décision.

Le lendemain matin, quelle ne fut pas leur consternation de voir que tous les fruits étaient tombés au sol, immangeables, que les feuilles racornies pendaient misérablement des branches désormais mortes. L’arbre était mort dans la nuit, il n’avait pu survivre sans ses deux branches…

Librement interprété d’un vieux conte indien.

Mes seuls dieux

Dans ce recueil de huit nouvelles, Anjana Appachana, auteure indienne qui vit en Arizona, dresse un tableau sans complaisance de la société indienne, des troubles relations mères-filles, de la condition de la femme en Inde, des multiples liens invisibles qui entravent même les plus indépendantes. Les hommes sont gentiment écornés au passage : indolents, religieux absorbés par leurs incessantes pujas, égoïstes, profiteurs, roublards…

Huit nouvelles, écrites avec huit narrateurs différents qui se déroulent principalement entre Delhi et Bangalore, et qui dressent des portraits d’humains traversés par des sentiments parfois contradictoires, le tout sur fond de nourriture indienne omni présente. Entre la terreur d’une fillette qui redoute que son père ne soit transformé en curry et les gulab jamun offerts à une jeune femme un peu palote, ou les pakoras grignotés incidemment en discutant.

extrait :

« pour finir, on a décidé de consulter l’astrologue avant d’aller chez le gynécologue »

« Elle ferait semblant d’avoir une crise cardiaque (…). Elle téléphonerait à sa fille pour dire, je veux te voir avant de mourir, alors sa fille rentrerait à la maison, oui, elle rentrerait à la maison, et elle laisserait repousser ses cheveux. »

Anjana Appachana, Mes seuls dieux,  Zulma 2010.

Chaine de production

Au commencement était la canne broyée

et quelques temps plus tard, après un lent chauffage, puis une mise en moule, après des jours et des jours de séchage à l’air libre mais à l’abri du soleil, sous de providentielles feuilles de banane, le démoulage avant emballage dans des cartons :

et voilà les cubes de « jaggery« , environ 250 grammes de sucre de canne brut, non raffiné, bourré de micronutriments savoureux. Un sucre au goût absolument inimitable, prêt à râper. Ben oui, c’est le seul hic, il est tellement compact qu’il faut une râpe à sucre ou un marteau avec un coin…

Le moineau local indien…

Le Brahminy Kite (Haliastur indus) est un rapace très courant en Inde pour autant qu’il y ait de l’eau à proximité. Son dos écureuil et son ventre blanc strié en font un oiseau absolument splendide dans le ciel et posé.. je ne me suis pas lassé de les regarder à chaque fois que j’en ai vus. Ils étaient toujours seuls à la différence des buses qui miaulent en couples.

Brahminy Kite

Sauvée du néant

Grâce à CardRecovery, merci Vincent, j’ai pu récupérer une partie de mes photos disparues dans le scratch de mon pc. Une partie seulement, parce que malheureusement la série à la sucrerie artisanale est pour l’instant irrécupérable.

Donc pour commencer, une photo un peu insolite qui donnera sans doute lieu à un conte dans quelques temps. Je vous laisse mettre vos mots à vous en premier.

et toujours pour la voir en grand, cliquez deux fois !

 

Chamundi Hill

Cette colline près de Mysore honore la déesse Chamundi victorieuse dans son combat contre le démon Mahishasura. Tout en haut se trouve un temple avec une statue d’elle entourée d’une couronne de crânes (ben oui pourquoi pas !). c’est un lieu de pèlerinage, et de promenade pour les habitants de Mysore qui montent les 1000 mètres pour rejoindre le temple par un escalier. Enfin pas tous puisque comme vous pouvez le constater, certains touristes ou pèlerins montent en deux roues, d’autres en voiture, d’autres en bus (la photo du bus ne servirait à rien, c’est la bande son qui serait la plus utile pour se faire une représentation juste du voyage).

Cette colline est un sanctuaire de vie sans plastique ;  toute forme de plastique est interdite- no plastic area. Oui, oui, oui vous avez bien lu, ils ont compris la pollution du plastique et ont osé prendre des mesures drastiques – pas franchement bien respectées quand même !

Nous sommes montés en voiture en fin de journée, avant la clôture du temple, pour profiter de la vue magnifique sur la vallée et sur Mysore, et savourer le délicat coucher de soleil.

Les singes tentaient encore de grappiller quelques friandises, les attrapes-badauds voulaient nous vendre des Ganesh en résine enchâssant des pistaches séchées (oui c’est assez kitsch). Certaines vaches arpentaient le tas de noix de cocos décapitées, qui gisaient au sol, pour tenter de manger quelques morceaux de pulpe et compléter leur maigre repas du jour. D’autres plus fourbues profitaient de la fin de l’agitation humaine pour prendre leurs quartiers de nuit,  là où les deux-pattes avaient enfin fait place nette. Imperturbables au vrombissement des motos qui redémarraient pour descendre la colline, elles cherchaient doucement le sommeil.

Vert

Dans la campagne du Karnataka, j’ai retrouvé avec plaisir le vert vibrant des rizières. Un vert que j’avais découvert il y a 17 ans en chine du sud avec ravissement, nous n’avons pas l’équivalent en France je crois. Un vert qui oscille entre la pomme et les filaments d’or. Comme c’était la période de moisson, à beaucoup d’endroits il tirait sur l’or du blé mur. cela donnait une texture très singulière aux champs, un relief presque exacerbé.

Dans la jungle, c’était tout autre chose. J’ai été très surprise des verts. Des couleurs parfaitement inconnues qui ne résonnent avec aucun végétal de mon univers. D’abord la lumière est différente. Je pense surtout à la lumière très laiteuse du matin, comme si un voile de brouillard très très fin avait été déposé là par une fée facétieuse. La structure des arbres et leur hauteur, la découpe des feuilles qui attrape la lumière autrement également. Enfin le vert lui même des feuilles, résolument vert, avec des reflets vert de gris, des reflets cuivrés, des reflets des verts épineux. J’ai découvert avec émotion des nuances de couleur que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais vues.  J’ai ressenti l’émotion que j’imagine chez les scientifiques qui découvrent un nouvel animal.

Cette découverte, cette couleur singulière ont renforcé ce sentiment d’être étrangère en ce pays. Étrangère, pas exclue. Ce monde m’apparait comme singulier. Et quand au détour d’une route le chauffeur nous indiqua une ferme, je sursautai. La ferme de mon enfance elle est très verte avec des vaches à lunettes et des pommiers. Là c’était une ferme de riz et de cocotiers. Pendant une seconde j’ai cru qu’il plaisantait. Et puis non j’ai réalisé où j’étais et j’ai « converti » le mot. Le « concept » de ferme recouvre des réalités bien différentes et s’inscrit dans des cultures spécifiques. Redécouvrir ce qu’une ferme veut dire, j’ai trouvé cela très émouvant.

Une voix singulière

Le grondement monte dans l’impasse. Sitôt posé le pied sur le bitume, même en aveugle je pourrai retrouver la rue. A l’oreille.  Je remonte l’impasse doucement, savourant le bruit feutré des voix. Un auto-rickshaw me demande où je vais. Me promener. Il est un peu surpris. Pas que les indiens ne marchent pas , au contraire. Quand on est en bonne santé, on se lève avant le lever du soleil et on va marcher une heure au soleil levant. Avant c’est un peu dangereux avec les chiens errants, surtout pour les motos. Pas de grasse matinée à espérer. L’Inde est le pays des gens qui se lèvent tôt. Et ce n’est pas un slogan politique…c’est le pays des gens qui vient à l’heure du soleil, parce que sans électricité….

Le trafic est encore assez léger pour que j’entende distinctement les voix des instruments. Le feulement poussif des rickshaws, le miaulement plaintif des scooters, le grognement des motos, le pouet-pouet franc des taxis, les carillons innombrables des bus et des camions. Du soleil levant à la nuit avancée, le concert ne cesse presque jamais, six heures tout au plus. Il fluctue dans la journée pour devenir intenable le soir, intenable et franchement irrespirable.

A la campagne, c’est surtout la mélodie des bus et des camions. A croire qu’ils ont chacun un klaxon unique et que l’art des chauffeurs est de savoir moduler très subtilement cet instrument au son agressif sous nos latitudes en un babil très explicite. Babil qui peut dégénérer en explosion de colère face au danger. Les camions en Inde du Sud sont une merveille pour les yeux. Tous plus décorés les uns que les autres, parfois couverts de guirlandes de fleurs, ornés d’un bindi – cette délicate goutte de couleur qui orne le çakra du 3e oeil des hindous. Parfois couverts d’inscription en hindi ou en langue locale, peints, les camions participent au feu d’artifice coloré de ce pays. C’est un tableau mouvant qui se recompose de minutes en minutes comme un kaléidoscope géant.