Quelques mots d’un voyage essentiel

Le café Livre, rue Saint Martin, est un endroit que j’adore & où il m’arrive des trucs magiques, où je trouve chaque fois un caillou blanc & précieux. Le dernier de ces cailloux, c’est l’invitation d’un passeur de lumière à vagabonder sur le projet qu’il venait de me raconter. Je lui ai proposé quelques Vagabondages en écho à ses mots. Il a choisi celui là :

Explorer les liens à soi-même ou aux autres, s’accorder à plus vaste que soi.
Toucher et se laisser toucher. Traverser ses nuits noires, plonger dans les profondeurs intérieures.
Laisser glisser les mots, les questions et les doutes et les confier à l’océan tout proche.
Se libérer du connu qui plombe, plonger dans l’inattendu qui émerveille.

(…)

pour lire la suite, laissez vous emporter vers un voyage intérieur en cliquant sur le lien :

Voyage Essentiel

Vous découvrirez le fascinant séminaire de développement-ressourcement que Boris organise en mai prochain à la Réunion. La version très  enrichie de l’atelier « du sens aux solutions créatives » dont j’ai déjà parlé…

Les mains légères

Écrire tous les jours une pleine page de mon voyage intérieur. Oser ne pas lever la plume de la feuille, les laisser ensemble dans un toucher intime ; mushin, penser sans pensées. Accueillir tous les mots qui surgissent sans aucune exception, les coucher délicatement sur le papier, avec tendresse. Les bercer et suspendre le tamis du jugement, ne pas les mirer, leur laisser toute leur imperfection et leur rusticité. Leur laisser une chance de germer, de s’enraciner, d’éclore, sur cette feuille ici, sur une autre ailleurs, ou dans mon cœur peut être.

Se mettre à l’ écoute du corps que l’on est jusqu’au bout des orteils. Écrire la surprise des sensations nues, les grains de poussière sous les pieds, les aspérités du sol, la fraîcheur du carrelage, la tiédeur du parquet chauffant. Écrire le frémissement des doigts sur la peau, le crissement des cheveux, écrire la sueur qui perle au dessus des lèvres. Écrire la saveur de la nuit, quand les yeux sont éteints et que bruissent les arbres. Écouter la respiration de la ville, les gouttes de pluie sur le zinc, le souffle d’air dans mes narines et dans la VMC de la cuisine. Écrire le silence quand les mots sont épuisés, écrire le vacarme et le tumulte des pensées, le jaillissement des couleurs et le vide serein du blanc. Oser dire l’expérience crue, l’énergie qui se cabre, les mains qui parlent, les yeux qui caressent.

Écrire le réel de ce voyage intérieur, minuscule, immobile ; écrire la vie dans ses infinies nuances, effleurement du soleil matinal, tourment du vent d’automne, morsure du froid. Écrire, encore et encore, écrire et laisser les mots faire leur travail. Laisse advenir par la brèche ouverte des mots inédits, des gestes essentiels, des goûts épurés. Écrire avec la main légère, plume sur la neige éphémère.

Ondinoé

Elle est là-bas au loin nimbée de soleil, bercée du chant des mouettes, massée par l’écume des vagues, posée sur son îlot de sable humide. Elle invite au jeu, au voyage, au plaisir de la glisse dans cette mer d’huile. Mais elle est loin, trop loin pour nager sans danger jusqu’à elle. Heureusement. Quelque chose en moi la regarde à distance, les deux pieds posés sur le rivage. Reste-là, tu ignores tout de sa force et de ses pouvoirs. Tu ne peux pas la contenir. Le vent porte sa voix sans doute parce qu’Ondinoé grimace.

Elle tente quand même sa chance et commence son chant. Le vent taquin transforme sa mélopée en morse, l’effet est stroboscopique et envoûtant. Elle le sent bien qui donne du corps à sa voix. Et moi je sens bien sa voix me pénétrer, m’envahir, me submerger, me vide. Sa voix s’empare de moi et chasse toute idée, toute sensation, toute émotion. Mon esprit est vide, blanc. Je perçois seulement le flux continu de ses mots que je ne comprends même plus. Je suis vacillante

Quelque chose en moi dit : maintenant ! Et je me mets en mouvement, je m’éloigne de la grève comme une automate, l’esprit toujours vide. Au fur et à mesure que je m’éloigne, je n’entends plus qu’un murmure fluet, je me vide progressivement d’elle. L’esprit toujours blanc comme si elle avait aspiré à jamais toute idée en moi. Je n’entends plus d’abord que les bruits de mon corps, les battements du cœur, les gargouillis du ventre, le souffle d’air qui rentre et sort de mon nez, le crissement de mes cheveux dans le vent.

Son envoûtement m’a coupée du monde, en fait non, de moi il m’a coupée, et c’est un instinct bénéfique qui m’a coupée du monde pour que je puisse réintégrer l’intérieur de moi même, par le corps d’abord. Et quand le corps est assez solide, assez dense, assez présent, reviennent les sensations corporelles, puis les émotions, et longtemps, très longtemps plus tard les idées. Je passe de longues minutes dans un état second avec une tête parfaitement vide de pensées, je en sais plus très bien ce que je suis.

Maintenant tu connais la vraie nature d’Ondinoé, insaisissable et saisissante.

La vie est rhizomes

 » Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez vous » disait Eluard.

Pour Dominique, l’homme au bois dormant, notre culture est structurée comme un rhizome. Pour moi c’est la vie même avec ses extrêmes interdépendances, cachées, souterraines et souvent extraordinairement gouteuses et créatives. Je viens d’en expérimenter une nouvelle portion, une nouvelle interconnexion.

Résumé : je blogue, tu blogues, elle commente, toi aussi, je demande, tu acceptes, nous co-créons, puis nous brisons l’écran. Quelques temps plus tard, nous blablatons de ci de là, elle me parle de lui, tu me parles d’un autre, et puis voilà que tu publies un billet sur lui, tu aimes susciter, provoquer, des rencontres un pas plus loin … je lui écris, et au détour d’une métaphore existentielle, il surgit. Notre rencontre était bien prévue ; quant à sa date, elle a eu lieu quand c’était juste, et pas programmé. Liberté j’écris ton nom. Nouvel écran brisé. Et voilà que je viens suivre un atelier de lui dont je ne sais rien de dicible.

S’il n’avait pas fait si froid à l’hiver 2006, si je n’avais pas glissé sur un lac gelé, si je ne m’étais pas cassé le poignet, si je n’étais pas restée 8 semaines chez moi, je n’aurais peut être jamais ouvert de blog et me serait privées de rencontres toutes délicieuses et bousculantes surgies au détour d’un retour à l’écriture régulière. Et je n’aurai peut être pas suivi cet atelier « du sens aux solutions créatives » aujourd’hui.

Alors qu’est-ce qui m’a poussé là, au fond, à explorer les sens aux quatre vents ? La curiosité, la confiance et la vie. La curiosité d’explorer un archipel mal connu, de jouer le long des diagonales des fous, la confiance dans ce que mes amis me disaient au delà des mots, la confiance dans la vérité du corps, la vie qui m’a fait son lot de facéties et de contrariétés comme pour tester la solidité de mon élan premier, et de mon envie d’essentiel.

Je me suis retrouvée ce matin dans cette salle bordée de fenêtres doubles, au parquet gris clair, le dos appuyé sur un coussin vert anis, à partager avec cinq autres personnes mon interrogation du moment. Interrogation qui s’était invitée en toute simplicité à mon petit déjeuner de lundi. Étonnement de l’écho en moi de chacune des interrogations partagées, équilibres dynamiques, conciliations multiples, conjonction des opposés, aimer, perdre, grandir.

Et voilà que le rhizome s’invite pour la journée pour nous rappeler les ramifications complexes de nos interrogations. Et voilà qu’il danse avec nos métaphores. Et comme l’écrivait délicieusement Eva récemment, sur le fil de nos métaphores,  l’ombre ne peut plus se poser à terre, elle s’étire à l’horizon. Et tombent les scories, les questions inutiles, les faux jeux et passe-temps pour brider la vie. Parce que sur le fil de la métaphore je deviens une funambule attentive à l’essentiel : équilibre, grâce et légèreté, sous le regard bienveillant d’un ange gardien qui sait adoucir les chutes. Que faire alors sinon oser poser un pied après l’autre sur le fil, et éprouver en soi la leçon de chaque pas ?

Lové dans un Rêve

Il est là, tout contre moi. Je ne vois rien dans l’obscurité. Je sais juste qu’il est là. Paisible, tranquille, endormi sans doute. Et puis l’ombre s’éclaircit, des points blancs la transpercent dessinant une guirlande, une ligne de flotteurs par lesquelles la lumière rentre. Les points blancs s’élargissent et deviennent de délicats boutons de lumière. La nuit est transpercée de minuscules spots qui diffusent une lumière très douce, très tamisée. Il n’a pas bougé, et c’est à peine si je sens l’onde de sa respiration sur mon flanc gauche. La courbe de son corps dessine le mien.

J’attends que mes yeux s’habituent  à cette nouvelle lumière pour regarder. Mais peut être l’image serait plus nette les yeux fermés. Peut être que je pourrais voir à travers mes paupières closes. Le rêveur choisit l’endroit d’où il regarde, il n’est plus dépendant des lois du corps.

A présent je le vois. Nous sommes tous les deux sur un sol de terre battue, de la poussière ocre, de longues lignes de ronds noirs et blancs traversent l’espace de part en part. Lui m’apparait coloré de grès rouge, de terre d’Uluru. Mi homme mi animal, un curieux assemblage de kangourou rouge qui nage, de tortue sanguine sans carapace ou d’opossum roux incarné en serpent de feu.  Il fait l’exacte bonne longueur entre le creux de mon bras et le rond de ma hanche. Il dort très profondément. Et le rêve,  cela ne s’interrompt pas.

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Pour le plaisir tu peux lire cet entretien délicieux avec John Stokes

Aux portes du monde

Nous avons pris le temps de faire connaissance en silence, de nous humer, de nous ressentir au creux du ventre ou des reins, de l’électricité dans l’air réveille les poils endormis sous les tissus de coton. Nous avons bougé, cherché les rapprochements, goûté les éloignements, choisi notre place. Et nous voilà assis en cercle, séparés d’une coudée les uns des autres, les yeux mi-clos. Revenir à ce qui est essentiel pour soi. Pas dans un truc désincarné, non ici, microcosme d’énergies amies neutres ou antagonistes. Ressentir essentiel de cet instant là dans ce groupe là, tout au fond de soi. Sentir ce qui bouge en soi. Sentir le trajet du souffle en soi et le reste. Ce qui murmure, gronde, se détend, se dilate, se contracte.

Et quand le souffle devient tranquille, ouvrir une à une ses portes de perception.  Glisser doucement les mains sur soi pour prendre conscience de son corps, de son volume. Noter si l’essentiel en soi se déplace, change de forme, d’intensité. Écouter le souffle de son voisin et élargir aux sons plus ténus, aux bruissements de feuilles, aux pépiements d’oiseaux. Laisser tous les sons venir à soi, ceux du corps et ceux du monde. N’en retenir aucun, se laisser traverser. Qu’est-ce que cela change au fond de soi ? Sentir l’air sur les carrés de peau dénudés, l’air sur ses sourcils, sur ses paupières, sur les ailettes vibrantes du nez, sur les lèvres, sur les contours du visage, le contour des doigts. Et percevoir les ondulations en soi. Un mot, une image, une couleur, une saveur, un son peut être qui chemine. Maintenant, bien ancré en soi même, ouvrir les yeux et, sans bouger la tête, explorer le monde autour de soi, explorer le regard de ceux qui sont assis en face. Laisser faire, juste noter ce qui se passe en soi.

Au son du tambour s’allonger. Former un cercle d’humains unis par les seuls pieds qui s’effleurent deux à deux. Refermer les yeux et gouter. Sentir ses appuis et gouter. Écouter et gouter. Rentrer profondément en contact avec cette multitude de ressentis. Faire la planche aussi longtemps que cela reste trouble. Aussi longtemps que la peur agite de son bâton la surface de soi, ou les tréfonds de soi. Et si elle persiste la peur, alors rentrer en elle. Regarder avec ses yeux, ses mains, sa bouche, ses dents, ses cheveux. Sentir comment elle est, observer comment elle fait pour s’emparer des sujets, les déformer, transformer leur sens. Devenir familier de sa peur pour savoir la reconnaitre quand elle se déploie à l’intérieur de soi.

Et quand le calme est revenu, ouvrir les bras. Poser une main sur la paume de son voisin, une main sous la paume. Peut être qu’il n’y a qu’une main, que l’autre n’est pas encore prête. Sentir à nouveau ce qi se passe en soi. Sentir comment les deux parties de soi sont reliées , comment l’énergie des autres est reçue en soi et circule. Ou pas. Se mettre à l’écoute des pulsations en soi, des pouls qui se font écho. Observer. Laisser advenir le voyage intérieur en se reposant sur le son du tambour. Le tambour qui résonne dans tout le corps. Sentir où et comment il résonne. Explorer de son souffle les zones qui vibrent moins. Le tambour qui harmonise les vibrations des corps, le tambour qui accorde les mondes. Se laisser guider en aveugle par le tambour sur le chemin des portes du monde.

Foudroyée

Elle se  tient devant moi, mutique, dans sa jupe vert tilleul. Les cheveux fous hérissés sur la tête comme si elle était habitée par la foudre. Trois quart arrière pour ne pas croiser mon regard. Je la sens vibrer à distance d’une colère inextinguible. Cela la rend farouche, inapprochable. Elle ne fait confiance à personne, aux animaux seulement, parce qu’ils sont plus aisés à sentir. Elle ne fait pas confiance aux mots. Elle ne les utilise pas. Ses mâchoires sont hermétiquement closes. Ce qu’elle exprime, c’est avec ses yeux, son corps.

Elle peut rester debout sous la pluie, des heures, à regarder les éclairs lacérer le ciel, à sentir la pluie dégouliner sur elle.  A croire qu’elle est branchée sur la charge électrique qui se dissipe dans le sol quand la foudre frappe.

Les derviches tourneurs d’Alep

Les danseurs se saluent, bras croisés sur la poitrine, saluent les solistes et se mettent à tourner doucement de gauche à droite, puis de plus en plus vite. Jusqu’au moment où leur longue jupe dessine un rond parfait au dessus du sol. Jusqu’au moment où leurs mains s’élèvent doucement vers le ciel comme des branches de saules. Les bras perpendiculaires au corps, les mains se déplacent. La main droite vers le ciel pour recueillir la grâce d’Allah, la main gauche vers la terre pour la répandre, la tête légèrement inclinée.

Et ils tournent  sur eux même et tournent dans la pièce reproduisant sur scène le mouvement incessant des planètes dans le cosmos. La musique, les chants  et la danse s’interpénètrent dans un élan de vie un peu hypnotique.

Et le danseur devenu toupie tourne pendant un temps incroyablement long, les yeux fermés, guidé par les seules indications sonores. Il s’arrête net, comme il a commencé, sans tomber ni vaciller face à une salle muette de stupeur qu’il salue.

La flute, le luth, le tambourin et la cithare orientale continuent leur incroyable chant, se mêlant aux voix humaines chaudes, rauques parfois.

C’était le très beau spectacle d’art musical musulman hier soir de l’ensemble Al-Kindi, mêlant artistes turcs et syriens, avec trois derviches tourneurs d’Alep.

Tu ne peux te libérer du monde en prêtant l’oreille
Tu ne peux te libérer de toi-même par beaucoup de paroles
Tu ne peux te libérer de tous les deux,
Du monde et de toi-même, sauf par le silence.

Rumi, extrait du livre des quatrains

Lumière de sorcière

Depuis le début du mois, le soleil joue à « jamais sans toi, jamais avec toi », c’est un peu agaçant, surtout aujourd’hui avec l’éclipse. On nous a promis un beau baiser d’amour, entre la lune et le soleil, un baiser gris argenté qui aveugle à coup sûr les voyeurs impénitents. Un baiser capricieux qui se mérite. Un baiser quoi ! A en rêver pendant cent ans !

A onze heures je quitte mon pigeonnier de verre et d’acier. La lune a commencé son grignotage de souris. Les allées grouillent de monde. Plus haut, à l’abri des regards, quelques amoureux se papouillent dans un coin de verdure. Ils se moquent de savoir si le ciel va leur tomber sur la tête ! Ils ont raison et je les envie un peu. Je file rejoindre André Malraux, mon parc, comme si les minutes m’étaient comptées.

Mes idées noires s’échappent, nettoyées par la chlorophylle. J’adore ce parc avec ses chemins en rubans beiges, ses petits arrondis, sa pataugeoire, ses pelouses où s’allonger pour respirer l’herbe. On s’y sent comme chez soi. Je suis rudement étonnée du monde, c’est pire que le RER aux heures de pointe. D’ordinaire, le parc se peuple plutôt l’après-midi, il est envahi par les tribus d’enfants multicolores. Aujourd’hui, c’est par un mélange inédit de femmes enfoulardées, de touristes en short, de gens en costumes et tailleurs…

Avec tout ce monde autour, je me sens happée par l’attente, une vieille copine à moi. Je m’installe sur une pelouse un peu en hauteur. Évidemment vu le manteau de nuages, j’ai des doutes sur le spectacle mais bon, j’y suis, j’y reste. Tout le monde essaie fébrilement ses lunettes tantôt bleues tantôt grises, comme à la plage. Les amoureux n’ont qu’une paire pour deux, ils auront peut-être des regrets plus tard… On se pose tous la même question : qu’est-ce qu’on va voir ? Il y a une ambiance de kermesse. Je n’ai jamais vu un tel attroupement, même pour la finale du foot ! On se regarde tous en coin, un peu émus. On ne se cause pas, on n’ose pas, on est encore intimidé. Tout le monde est sage… même les portables ! Ça, c’est une vraie fête !

La lune grignote encore et encore la lumière. Le ciel ne change pas mais les couleurs se mélangent bizarrement. Tout à coup, contre toute attente, les lampadaires s’allument. Je ne comprends pas. Les nuages se disloquent enfin et nous dévoilent le soleil en plein baiser. C’est comme je l’imaginais, les frissons en plus ! Cris d’enthousiasme et applaudissements fusent de partout. La lune, elle, n’est pas intimidée, et poursuit sa descente au ralenti. La mise en scène est parfaite, c’est bien mieux qu’à la télé… Devant tant de merveilles, on redevient des mômes !

La lumière poursuit sa métamorphose, elle se déguise doucement en lumière d’orage, comme si le gris des costumes et des tailleurs déteignait. Puis elle devient rose, bleu, gris bleuté. Les couleurs prennent un nouveau relief : les boubous étincellent, les foulards scintillent, les cravates chatoient. Le silence se fait doucettement.

J’ai l’impression d’être à des millions de kilomètres de Paris, dans une lumière de BD – c’est presque du Bilal. C’est magnifique et irréel. Les buissons et les arbres semblent sculptés par la lumière, les contours des brins d’herbe se détachent avec une netteté incroyable.

Pendant les quelques minutes de l’éclipse totale, le sourire délicat tourne tout doucement ; l’émotion dure, intacte. A vous faire aimer la vie pour toujours. Je reste suspendue à ce minuscule rai de lumière qui cercle la lune d’un sourire. Il est incroyablement contagieux.

Il ne fait pas nuit, non, il fait silence et émotion. Des larmes jaillissent. Je ne peux pas m’empêcher d’appréhender un peu la suite. C’est vraiment sûr que la lumière reviendra ? D’un autre côté, si la fin du monde est aussi belle… pas de quoi en faire un drame !

Le phare (3)

Lors de mes escapades, je finissais souvent par tomber de fatigue avant de rentrer à la maison hors de moi. J’avais couché mon orgueil au fond du lit de la rivière mais il ne mourrait pas. Il m’inventait au rythme de mes disparitions de nouvelles souffrances. Je revenais toujours et je m’interdisais toutes les questions. Pourtant le doute me reprenait au vol, au détour d’un songe, et me réveillait sans ménagement. Lève-toi ! Va baigner ta tête nue dans la solitude du vent. Va glacer ta peau à la morsure de la lune. Va éprouver ta solitude ! J’écoutais mugir la mer et le vent à l’unisson. Je sentais monter en moi un chant glacé et violent de questions, je frissonnais de fatigue et de cauchemar. La nuit me gardait éveillé, elle ne consentait à me libérer qu’aux premières lueurs de l’aube, à l’heure qui tue les mourants. Elle relâchait son emprise et me renvoyait à la solitude des hommes. Alors se levait le grand vent du manque, celui qui assèche les rivières, déplace les dunes aux limites de l’horizon, le vent qui transforme les hommes en torches vivantes.

Combien de fois ce vent me traversa-t-il sans me brûler ? Combien de fois éprouva-t-il le désert glacé de mes sentiments. Ombre de moi-même, j’avais le sentiment de ne plus exister, de ne plus penser, de n’avoir plus rien à vivre. J’errais à la recherche d’un onguent, d’un parfum, d’une saveur, d’un sens. Je me défendais, je me battais contre cette absence qui me lacerait. Les mots ne servaient plus à rien. Je les vomissais de rage et d’impuissance.

Un jour, j’ai décidé de m’offrir tout entier à ce manque qui m’appelait, j’ai décidé de l’apprivoiser de tout mon corps. Alors commença une longue période où je me dépris de tout, je m’allégeais de mes illusions, pierre à pierre. J’étais fatigué de vivre, fatigué de chercher de l’épaisseur à une vie sans amour, fatigué de me détruire lentement. Je devins aussi vide qu’une calebasse. Et le vide devint précieux. Je cessais enfin d’espérer ce qui manquait tant à sa vie. Le manque devint hymne et hommage, trace vivante d’une vie à construire. La joie pouvait enfin essaimer la plage. Je commençais d’aimer tout ce qui ne me manquait pas : le sable, la mer et le vent. Les portes du phare s’ouvrirent aux quatre vents pour accueillir les ombres qui voudraient s’y reposer. Le grand vent ne me terrassait plus, il me portait plus loin, grain de sable parmi les grains de sable. Il me rappelait le chemin pierreux du passé, la force des vents contraires, le chant brutal des marées d’équinoxe.