Le quai de Ouistreham

Bon j’ai lu quelques articles qui m’ont donné envie de lire le dernier livre de Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham. Elle s’est glissée quelques mois dans la peau d’une précaire cherchant du boulot. Et elle tombe dans l’empire quasi esclavagiste des sociétés de nettoyage.

Son livre est du registre des tribulations d’une caissière, proche, très proche. Pas vraiment un roman, ni un journal intime, un documentaire mais pas tout à fait, un reportage mais où elle perd sa distance critique de journaliste. Un objet un peu insaisissable en fait. Mieux écrit que les tribulations, plus ouvert sur le monde et pas seulement celui du travail. Mais pas beaucoup plus consistant non plus. Sans doute que si vous n’avez pas de proches qui soient dans cet épouvantable galère du chômage vous y découvrirez toute l’absurdité du système soi disant d’aide aux chômeurs. Deux mondes qui se côtoient mais ne se rejoignent presque jamais, celui des salariés du pôle emploi et celui des chômeurs.  L’épouvante est des deux côtés mais pas pour les mêmes raisons.

Bon d’accord vous ne regarderez sans doute plus jamais tout à fait de la même manière ces hommes et femmes qui nettoient partout sous un uniforme étrange, le supermarché, le centre commercial, le hall de votre immeuble, votre bureau peut être même.  Si par malheur vous aviez oublié que ce sont des humains comme vous qui pensent et respirent comme vous, qui ont des yeux pour voir, un cœur pour aimer, etc.

Quand vous prendrez le ferry, vous aurez peut être envie de laisser votre cabine nickel en partant parce que franchement trois minutes pour faire les sanitaires d’une cabine, je sais que je n’ai pas la compétence !

Ce livre m’a remis en mémoire mes discussions avec l’homme de ménage de mon étage, parfois il est remplacé par une femme magnifique dans son boubou bleu – je la croise parfois dans mon quartier –  et le jardinier, sur leurs cadences infernales, sur la guerre des prix, sur les contrats, les absurdités que cela les conduit à faire, sur la concentration des entreprises aussi.

Survient aussi, mais trop en creux à mon gout, un questionnement sur notre manière de vivre et d’embaucher, notre fantasme du diplôme à tout crin, l’impossibilité faite aux « débutants » de mettre le pied à l’étrier. La lutte pour réussir à se nourrir avec très peu d’argent. La fraternité dans la misères et les emmerdes. Les petitis chefs arrogants et directifs. La négation de toute identité, de toute initiative, de tout avis possible sur l’organisation du travail.

Reste la prouesse de Florence Aubenas de s’intégrer dans un univers loin du sien, de vivre plusieurs mois dans ces conditions effroyables dans lesquelles elle plonge sans préparation. Oui c’est difficile quand on n’a jamais travaillé avec son corps d’être performant dans des gestes précis et rapides. De découvrir qu’avec la fatigue physique tout devient gris, de perdre la notion du temps, de vivre sans rythme et de tenter malgré tout de rester inséré, du côté des vivants et pas des fantômes.

7 réflexions sur “Le quai de Ouistreham

  1. « productivité » cet idéal, ce mode de vie que la télé nous vante chaque jour, et qui plonge de plus en plus d’humain dans l’inhumanité sordide.

  2. La société de consommation nous condamne trois fois :
    i) elle condamne la planète sur laquelle nous vivons ;
    ii) elle condamne une partie de la population à la misère ;
    iii) elle condamne l’autre partie à être dans l’avoir « comme je serais heureux si j’avais ce que je n’ai pas » et non dans l’être et ainsi à ne jamais être heureux.

    Les gains de productivité aurait pu, dû faire disparaître la misère. Aurait pu, dû nous rendre heureux. Mais chaque fois que nous faisons des gains de productivité c’est au prix de plus de chômage, de plus de précarité, de plus de stress. Mais à chaque fois que nous obtenons quelque chose nous voulons autre chose, nous voulons toujours plus. C’est cette course sans fin qui sera notre fin à tous.

    Ce meilleur des mondes débute, comme celui d’Huxley, avec le fordisme et le principe est le partage des gains de productivité. Mais à la différence de celui d’Huxley, nous avons moins bien réussi le conditionnement des hommes. A la différence du monde d’Huxley, nous avons exclu de plus en plus de personnes. A la différence du monde d’Huxley, nos drogues, nos addictions ne sont pas assez fortes pour que nous nous croyons heureux. Cela rend la vie plus dure, surtout pour les laissés pour compte, mais c’est peut-être notre chance.

    Cela me fait penser à l’histoire d’un esclave qui rêve qu’il est libre que raconte Jorge Bucay : « Dois-je le réveiller pour lui dire que ce n’est qu’un rêve et qu’il sache qu’il est toujours esclave ? Ou dois-je le laisser dormir aussi longtemps qu’il le peut afin qu’il jouisse, ne serait-ce qu’en rêve, de sa réalité imaginaire ? ». L’éveil, la pleine conscience me paraît préférable car elle seule permet de réagir, de changer les choses, de vivre.

    Je m’arrête là car, d’idées en idées, un simple commentaire devient une longue histoire.

  3. La religion consumériste… oui c’est un billet à part entière. J’extrais juste un communiqué d’Alain CHevillat de Terre du ciel après la perquisition militaire et culpabilisante qu’ils ont subi fin janvier comme si el domaine était un haut lieu sectaire. Je vous laisse apprécier :
    « Car vous le savez bien, ce qui est dans le collimateur de la Miviludes et de l’ADFI ce n’est pas que la spiritualité, ce sont aussi les médecines
    naturelles, le développement personnel, les écoles parallèles, c’est à dire tout une recherche d’art de vivre alternatif au consumérisme, véritable religion officielle de la société contemporaine. »

  4. Depuis le fordisme nous avons deux indicateurs de progrès le PIB et les gains de productivité. La spiritualité, les médecines naturelles, le développement personnel… ne sont pas, dans ce paradigme, source de progrès.

    Nous devons changer de paradigme et remplacer le principe fondateur du fordisme du « partage des gains de productivité » par celui du partage de la qualité et de la durabilité.

    l’iPad rendra-t-il l’homme plus heureux ? Non, après l’iPod, l’iPod Touch, l’iPhone, l’iPad n’est qu’un nouveau gadget qui sera remplacé par le suivant dans 12 mois.

  5. Florence Aubenas ne dénonce pas la religion consumériste, elle la cosntate. De la même manière, elle raconte la place étroite faite aux femmes, les emplois laissés aux femmes laissées pour compte, le sexisme. En cela elle rejoint sans doute le propos d’Elisabeth Badinter qui dénonce dans Le conflit, le repli inquiétant des droits de la femme.

  6. Saveur, tu as raison, je saute de l’observation à l’analyse des causes. Or c’est en mettant les gens en face des faits que se fait la prise de conscience. L’analyse, l’action ne vient qu’ensuite. Mais ça m’est difficile.

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