La vie des oeuvres

Je suis très contente. J’accompagne depuis la rentrée un groupe d’ados et ils travaillent super bien. Oui, évidement c’est parfois un peu le bazar en cours. Comme dans toute école, la prof d’arts plastiques est un peu chahutée. Ils font cinq choses en même temps, et surtout écrire des SMS, créer et tchatcher. Le plus souvent dans cet ordre là. Alors je n’entends parfois que le cliquetis des pouces et des claviers ou le son plus feutré des stylets sur les mobiles.

Un an de travail, à plonger les mains dans la matière : argile, plâtre, pierre, acrylique, gouache, pâte à papier, pâte à modeler,  papier, carton, colle. Leur permettre de gouter à différents outils, différents temps de créations, différentes tailles d’œuvre. C’est important de trouver le format d’œuvre avec lequel on est bien.  Ils n’ont pas reçu d’enseignement technique, aucun, pour rester au plus près du plaisir de créer sans s’entraver de règles. L’art ne peut sans doute pas se passer de règles, mais pour l’instant mes élèves oui.

Un émerveillement hebdomadaire pour moi de voir leur travail se préciser, s’affirmer, gagner en vigueur, passer progressivement sous les fourches du critique intérieurs et autre démons, pour aller se nicher en profondeur dans un lieu singulier et précieux. Cela se voit sur leur visage quand ils ont contacté cette énergie profonde-la.

Ils ont travaillé fort et chacun a sélectionné pour l’expo de fin d’année une oeuvre singulière. Je leur fais une surprise. Je ne leur ai pas encore dit qu’ils allaient exposer dans l’ancienne friche industrielle. Une très belle réhabilitation. Un long mur de tags témoigne des années d’abandon avec une belle palette bariolée.

Je sais bien qu’ils n’ont sans doute jamais franchi la porte de ce drôle centre d’art. Ils sont contents, pas encore intimidés et n’imaginent pas comment c’est un vernissage.  Leurs œuvres à eux, je les ai installées derrière le nouveau mur, bien cachées du regard pour maintenir la surprise le plus longtemps possible. Pour que les spectateurs soient saisis du lieu et de son atmosphère avant de plonger les yeux dans les créations des jeunes.

Et pour souligner l’importance du moment, j’ai installé un beau cordon le long des piliers du mur blanc, un gros cordon orange qui protège encore de l’inconnu. Dans quelques jours, quand tout le monde sera réuni, un ancien va couper solennellement le cordon. Dans l’assemblée, certains vont retenir leur souffle, d’autres vont crier en découvrant ce nouveau monde, peut être mêmes verser quelques larmes. Ce qui est sûr c’est que les œuvres vont vivre là désormais, sans leurs créateurs, sous le regard du public, le temps d’une exposition.

© Pali Malom