Lectures en cours

J’ai plusieurs livres ouverts, comme si l’envie de butiner était  plus forte que m’immerger. Des livres qui divergent passablement.

Le dernier que j’ai ouvert, c’est Sous le jasmin la nuit de Maïssa Bey. C’est un recueil de onze nouvelles sombres qui disent l’écrasement des femmes algériennes dans la culture traditionnelle. Ces femmes qui ont un corps qui est pris et dépris, rarement aimé.

J’ai presque fini Eloge des femmes mures de Stephen Vizinczey qui m’a assez profondément ennuyé. Il est d’un érotisme qui me laisse de marbre, pire qui me fait soupirer. En toute immodestie je préfère ma plume érotique bien plus solaire et charnelle. Et toc, c’est dit.

J’ai presque fini aussi un livre que je lis à petites gorgées tellement c’est bon. un recueil de magnifiques nouvelles (sud) coréennes de Yi Ch’ˇongjun,  Dialogue avec un vieil arbre géant. C’est un bijou lent, une méditation sur la création qui s’insinue dans le sang tranquillement et révèle ses effets longtemps après. Certains récits me hantent profondément. Et je pense que dès que je vais l’avoir fini, je vais le reprendre.

J’ai tout juste commencé Affirmation de la poésie de Judith Balso, elle explore les rapports entre philosophie et poésie. c’est aride et difficile. c’est un conseil de Michel le libraire qui me fait lire des trucs dingues. Une fois de plus.

Et puis La révolution Arabe – Dix leçons sur le soulèvement démocratique de Jean Pierre Filiu que G. avait recommandé sur Fesse de boucK. A juste titre. Et qui, pour moi remet bien les idées en place et prolonge bien les écrits d’Emmanuel Todd.

Et j’ai fini vendredi une autre recommandation de G., inclassable, Les vallées du bonheur profond d’Henri Bauchau. Cet homme là a commencé à publier à 45 ans, il a un style très singulier que j’aime beaucoup. C’est très poétique, parfois je ne comprends rien, mais c’est pas grave, je fais la planche sur ses mots et sa musique me maintient à la surface.

Brûlement

Voyez-vous, elle n’estime pas les choses correctement. Et elle est pleinement responsable de la situation. Elle a des valeurs fortes, le sens de ce qui est bien. Mais là, c’est comme si elle avait tout oublié en route, comme si elle avait peu à peu abdiqué ses convictions profondes. Bien sûr qu’en face ils se sont comportés comme des scélérats, un surtout. Mais qu’a t-elle fait ? Rien. A aucune moment elle n’a même envisagé qu’ils soient malveillants ou destructeurs pour elle. Non, elle comprenait toujours leurs mobiles. Même si c’était à ses dépens. Elle s’est laissée brûler par sa colère de l’intérieur, elle les a laissé lui dicter sa conduite, elle les a laissé l’aliéner sans rien dire, sans rien oser, sans rien tenter. Un rond ne devient jamais carré sans violence ni perdre toutes ses qualités.

Ah oui, si, une fois, elle a protesté que ce n’était pas possible de travailler dans des conditions aussi déplorables, avec une telle absence de relations. On lui a ri au nez. Elle s’est enfoncée un peu plus. Ils n’ont pas compris qu’elle parlait de ses conditions d’efficacité, ils ont cru à un débordement émotionnel, à une éruption d’affect. Ils n’ont pas compris que sans harmonie, elle ne réussirait pas à trouver d’accord, à s’accorder musicalement à eux. Elle ne pourrait plus laisser les événements  vibrer en elle pour trouver un chemin. Alors elle s’est laissée priver de relations, et comme si cela ne suffisait pas, elle a coupé ses propres liens amicaux, personnels. Elle a débranché sa perfusion nourricière. Plutôt que d’ouvrir grand les portes de son monde, elle a calfeutré portes et fenêtre. S’étrécissant sur elle même.

Elle a continué de mettre tout son cœur et ses tripes dans son travail, pour qu’il soit digne d’elle. Et ces ingrats ont continué de lui signifier tout ce qui n’allait pas selon eux. Ce qu’ils voulaient et qu’elle ne donnait pas. Ils demandaient une chose, une autre le lendemain, une autre encore le jour d’après. Elle n’arrivait plus à donner de sens à ce qu’elle produisait. Elle se disait que décidément avec ceux là, elle ne savait pas s’y prendre. Quoiqu’elle fît, de toutes façons, ce n’était pas assez convenable ou c’était juste normal. Et la clémence qu’elle pouvait avoir vis à vis d’eux,  elle a oublié d’en garder une part pour elle.

Alors c’est arrivé, elle ne distinguait plus rien. Elle éprouvait la sensation d’être installée sur des sables mouvants et chaque pas lui coutait un peu plus.  L’aspiration du sable humide était aussi difficile à contrer que les chaines intérieures. Elle s’est assise et tout a chaviré. Elle s’est effondrée. Disloquée de l’intérieur.